Hotsuma-Tsutae Le Livre du Ciel (Chapitre 10) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Ohokuninushi et la reddition d'Izumo
- Daikoku et Ebisu -

Ohonamuchi, le fils de Sosanowo (fondateur du Pays d'Izumo) est devenu en grandissant une sorte d'image inversée du caractère sauvage et capricieux de son père. En effet, Ohonamuchi (appelé également Ohokuninushi, divinité tutélaire du Sanctuaire d'Izumo Taisha dans la préfecture de Shimane) était d'une nature douce et compatissante. Très adroit dans l'administration du pays, il a apporté la paix et la prospérité au Pays d'Izumo par ses efforts pour mettre en valeur les terres arables en compagnie de Sukuna-Hikona (la divinité du Sanctuaire Kada-Awashima dans la préfecture de Wakayama).

On en était à une journée d'été de l'année saaye, dans la 93ème branche du 25ème suzu (un arbre utilisé pour marquer le passage du temps). Une branche de l'oranger planté dans la cour du Palais Kagunomiya avait soudain commencé à se faner. Comme l'arbre servait à évaluer l'état de santé du pays, ce n'était certainement pas de bon augure. Aussi les nobles furent-ils immédiatement convoqués et un rituel eut lieu selon le Livre de Divination Futomani. La divination produisit le signe shichiri qui signifiait que tout n'allait pas pour le mieux dans le nord-ouest du pays.

Il fut décidé d'envoyer un officiel yokobe à Izumo pour évaluer la situation. A son retour, celui-ci présenta le rapport suivant à la cour :

"Ohonamuchi, le Seigneur du Palais Yahegaki à Izumo, est si imbu d'orgueil hautain devant la gloire de son pays – comme dans le dicton "chaque flux a son reflux " – qu'il a changé le nom de son palais qui est devenu "Tamagaki Uchimiya" (Palais Intérieur de la Palissade Ornée de Bijoux) et qu'il l'a reconstruit en imitant le grand palais d'Amateru.

Auparavant, Omohikane et son épouse Shitateru (Wahahime, sœur d'Amateru) s'étaient occupés du Prince héritier Oshihomimi dans leur palais de Yasu (préfecture de Shiga). Après sa mort, Omohikane, révéré comme la divinité Achi, a été enterré dans le Tumulus d'Ina à Shinano (actuellement le Sanctuaire Achi dans le département d'Ina de la préfecture de Nagano).

Entre-temps, un grand Festival a été organisé pour marquer la succession de Takagi comme 7ème Takamimusubi. Le nouveau palais d'Imamiya a été construit près de la rivière Yasu et Takagi fut nommé pour succéder à Omohikane comme protecteur de l'héritier Oshihomimi à Taga. Le nouveau Takamimusubi convoqua tous les nobles à Imamiya et il leur transmit le rapport, ramené par le yokobe. "Qui donc doit être envoyé comme émissaire pour réprimander Izumo ?", demanda-t-il.

D'une seule voix, tous les nobles rassemblés répondirent : "Envoyez le seigneur Hohi." Il s'agissait d'Amano-Hohi, un fils d'Amateru et le demi-frère d'Oshihomimi. Et c'est ainsi que Hohi fut envoyé pour remédier à la situation. Mais à peine arrivé à Izumo, il se mit à fréquenter Ohonamuchi et fut séduit par sa personnalité et la richesse du pays. Trois années passèrent, mais Hohi n'avait plus donné le moindre signe de vie. On dépêcha donc son fils, O-ose ii Mikumano, mais à son tour, celui-ci resta fidèle à son père et il ne revint pas non plus.

Une nouvelle fois, le Takamimusubi convoqua une assemblée des nobles. Après délibération, ils décidèrent d'envoyer à Izumo comme dernier émissaire Amewakahiko (révéré actuellement au Sanctuaire Amewakahiko dans la préfecture de Shiga), le fils d'Amakunitama (divinité du Sanctuaire Nangu dans la préfecture de Gifu) et petit-fils de Kanayamahiko. Le Takamimusubi remit alors à Amewakahiko un arc kagoyumi et des flèches hahaya (symboles de l'autorité souveraine) et il l'envoya ramener à l'ordre les gens d'Izumo.

Mais ce dernier émissaire, lui aussi, manqua à sa parole envers la cour. Loin de revenir d'Izumo, il épousa Takateru (divinité du Sanctuaire Takateru dans le département de Naka-Tsugaru, préfecture d'Aomori), la fille d'Ohonamuchi. Il complota même pour prendre le pouvoir dans le Pays Central des Plaines de Roseaux. Pendant huit années, il séjourna à Izumo, refusant d'en revenir. Enfin, en dernier ressort, un "faisan" inconnu (agent clandestin) fut envoyé pour épier ses mouvements.

Le faisan se cacha au pied d'un grand cassier en dehors de la demeure d'Amewakahiko. Et quand, de ses propres yeux, il vit l'effronterie de la trahison d'Amewakahiko, le faisan en oublia presque le but de sa visite et, par inadvertance, il laissa s'échapper un cri aigu ("Hololo ! Hololo !", semblable à celui de la tourterelle).

Une des espionnes d'Amewakahiko entendit ce couinement et elle se hâta d'aller le signaler. Amewakahiko sortit alors de chez lui et dit : "Toi qui n'as pas de nom, comment oses-tu me faire des reproches ?" Et il décocha une des flèches hahaya qu'il avait reçues lors de son départ de la cour et celle-ci transperça la poitrine de l'oiseau. Le faisan s'éloigna en poussant un cri pitoyable. Lorsque le Takamimusubi vit le sang de la flèche, il décocha une flèche à son tour. Celle-ci toucha Amewakahiko en pleine poitrine et entraîna sa mort. Telle est l'origine de l'expression "Attention à la flèche en retour" (ou "Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fasse").

Lorsque Amakunitama, le père d'Amewakahiko, entendit les pleurs pitoyables de la Princesse Takateru, il fit rapidement en sorte que la dépouille soit recueillie et transportée vers son Mino natal, où ils édifièrent une chambre mortuaire temporaire.

Etant donné que - traite envers la cour - Amewakahiko ne pouvait pas être enterré avec les honneurs de la façon habituelle, on lui fit des quasi-funérailles (kari-mogari, au Tumulus Moyama dans la préfecture de Gifu) auxquelles seuls furent présents les membres de sa famille. Ils s'habillèrent en oiseaux de manière à remplir divers rôles aux obsèques qui se poursuivirent jusqu'à l'aube. L'un joua comme une oie de rivière dans le rôle de "kisari-mochi" (un parent du défunt chargé de tourner la tête de celui-ci vers les personnes en deuil), un autre comme un poulet dans le rôle de "yohakishi" (offrant des fleurs de papier), un autre comme moineau dans le rôle de "ii" (offrant du riz au défunt), d'autres comme pigeons dans le rôle de "monomasa" (porteurs du cercueil), d'autres comme roitelets dans le rôle de "sasaki miso" (pleureuses), un autre comme faucon dans le rôle de "yufumatsuri" (offrant le tissu comme meneur du deuil) et finalement d'autres encore comme corbeaux dans le rôle de "tsuka" (chargés d'inhumer le corps). Après avoir fait leurs adieux à Amawakahiko, parti pour l'autre monde, les membres de sa famille déguisés en oiseaux pleurèrent sa mort pendant huit jours et huit nuits, jusqu'à ce que les festivités s'achèvent finalement.

Au bout d'un certain temps, Takahikone (Suteshino Achisuki Takahikone, second fils d'Ohonamuchi, révéré au Sanctuaire Asuki dans la préfecture de Shiga et au Sanctuaire Futarasan à Nikko dans la préfecture de Tochigi), le frère de Takateru, vint au Palais d'Amakunitama pour présenter ses condoléances pour le décès soudain de son beau-frère et ami. Il se fit que sa noble prestance rappelait exactement à celle d'Amewakahiko. Lorsque les membres de la famille virent Takahikone, ils furent persuadés qu'Amewakahiko était revenu à la vie et qu'il leur rendait visite après huit années d'absence. Dans un grand état d'excitation et de joie, ils crièrent : "Notre seigneur est en vie ! Notre seigneur est revenu à la vie !", s'accrochant à lui avec un émerveillement délirant face à ce "miracle des huit années".

Mais Takahikone se mit en rage devant cet accueil inattendu. "Commettre l'erreur de me prendre pour un cadavre, moi qui suis venu d'aussi loin pour pleurer le décès d'un ami ! Comment un tel égarement est-il possible ?! J'en déborde de rage !" Ce disant, il dégaina l'épée Aokabari qui pendait à sa taille, il hacha en morceaux la chambre mortuaire et il se mit à sortir par l'entrée sanctifiée.

C'est alors que Shitateru-Ogurahime, la petite-fille de Kanayamahiko (qui, le premier, a ouvert autrefois le défilé de la route Nakasendo), s'efforça d'apaiser la fureur de Takahikone en récitant le poème suivant :
Ame naru ya Ototanabata no
unagaseru tama no misumaru
misumaru no ana tama hayami
tani futa hatarazu Achisuki
Takahikone zoya

("Il y a bien longtemps, alors que je tissais à Yasu pour la Princesse Wakahime, les perles portées autour de mon cou oscillaient de part et d'autre du vallon de ma poitrine, comme animées par le son du métier. En te voyant maintenant, les battements recommencent dans ma poitrine et, à nouveau, ces perles s'agitent dans la vallée. C'est toi, Achisuki Takahikone, qui remplit tout mon cœur.")
Entendant ces paroles, les membres de la famille d'Amewakahiko reprirent finalement leurs sens et ils réalisèrent qu'Achizuki Takahikone avait parcouru cette longue route pour pleurer le défunt avec eux. Calmé, il replaça son épée dans le fourreau et sa colère s'apaisa. A son tour, Takahikone récita un poème par lequel il souhaitait enseigner à la fille la façon correcte de faire la cour à quelqu'un. Ama sagaru hinatsume no i ha
tata setohi shikaha katafuchi
katafuchi ni ami hari watashi
mero yoshi ni yoshi yori konei
shikaha katafuchi

("Mon intention en venant dans ce pays était simplement de pleurer mon ami. Mais tu étais là, au bord de la rivière, jetant seul ton filet. Si tu recherches l'amour, tu dois avoir recours à un intermédiaire. Ton approche est trop unilatérale.")
Aux générations ultérieures, ce poème a été transmis comme Hina-buri (une mélodie régionale), un chant de fiançailles entre hommes et femmes d'origine et de statut (kamo ito) différents. On en retrouve aussi un écho dans le chant d'amour, interprété plus tard par le Prince Hohodemi à la Princesse Toyotama : Oki tsu tori kamo tsuku shima ni
waga ineshi imo wa wasuraji
yo no kotogoto mo

("Sur une île où venaient les canards kamo, ces oiseaux du large, je ne parviens pas à oublier ma dame, avec qui j'ai couché, ni les choses de la nuit.")
Takamimusubi ouvrit un conseil de guerre pour décider des moyens de punir une fois pour toutes l'orgueilleux Ohonamuchi à Izumo. Ils appelèrent ceci "kashimadachi" : l'assujettissement (dachi) du pays (shima) d'Ohonamuchi, Ministre de la Droite (ka).

Tout d'abord, ils construisirent un nouveau sanctuaire suki à l'intérieur de la cour afin d'offrir leurs prières aux divinités de la terre. Ensuite, une assemblée des nobles fut à nouveau convoquée. Au terme de longues délibérations, ils convinrent tous que Futsunushi (révéré actuellement comme la divinité du Grand Sanctuaire Katori dans la préfecture de Chiba) serait le mieux apte à diriger une armée contre Izumo. A ce moment, le vaillant Takemikazuchi (divinité du Grand Sanctuaire Kashima dans la préfecture d'Ibaraki) s'avança et dit :

"Que peut faire Futsunushi dont je ne sois pas capable ?" affirma-t-il. Impressionnés par cette expression de bravoure, les nobles lui ordonnèrent d'accompagner Futsunushi pour faire rentrer dans le rang les gens d'Izumo. C'est ainsi qu'à la tête d'une énorme armée de soldats mononohe, ils prirent ensemble la route d'Izumo.

A leur arrivée au Palais Kitsuki (actuellement le Grand Sanctuaire d'Izumo), Futsunushi et Takemikazuchi fichèrent leurs grandes épées babutsuchi en terre devant l'entrée et ils s'assirent sur leurs talons. Dans cette pose redoutable, ils s'écrièrent sur un ton de reproche :

"Nous deux avons été envoyés pour redresser votre attitude arrogante et vos méthodes erronées. Quelles sont vos intentions ? Vous plierez-vous à notre volonté ou non ?"

Pris au dépourvu par ce défi soudain, Ohonamuchi fut incapable de répondre. Il dépêcha plutôt Inasehagi (actuellement la divinité du Sanctuaire Inasehagi dans la préfecture de Shimane) comme messager rapide pour demander à son fils aîné Kushihiko (le Kotoshironushi) ce qu'il y avait lieu de faire. A ce moment-là, Kushihiko était en train de pêcher au Cap Miho, actuellement le site du Sanctuaire Miho (dont les divinités tutélaires sont le Kotoshironushi et son épouse Mihotsuhime).

A la cour du souverain, Kushihiho servait au poste de Kotoshironushi. Mais devinant les dangers que faisait poser l'arrogance entêtée de son père, il revint à Izumo dans l'espoir de le persuader de se désister. Mais Ohonamuchi ne comprit pas le risque de sa chute imminente et Kushihiko n'eut d'autre choix que de rester temporairement confiné au Cap Miho.

Entre-temps, Ohonamuchi n'avait jamais rien souhaité d'autre que le bonheur de son peuple et, dans cette optique, il avait travaillé avec ardeur à l'administration du pays. Il avait remporté des succès spectaculaires, avait étayé les fondements culturels de sa gestion teintée certes d'une ambition sans égale, mais il avait été à l'origine d'une prospérité et d'une gloire sans égale pour le pays. Toutefois, du fait de l'isolement prolongé qu'il s'était lui-même imposé, il n'était nullement conscient du fait que ses actions étaient considérées comme une menace sérieuse pour la cour du souverain.

Cependant, tout était sur le point de changer. Conformément aux instructions d'Ohonamuchi, Inasehagi s'informa auprès de Kushihiko : "Quelle est la volonté du Seigneur Amateru ?" A ceci Kushihiko répondit avec un sourire (emisu-gao, ce qui allait être connu plus tard comme la divinité Ebisu) :

"Bien que nous proclamions que nos intentions sont pures, nous sommes comme un grand poisson pris à l'hameçon. Comme il serait stupide de couper le fil ! La cour céleste aussi ressemble à un grand poisson pour le bonheur du peuple. Il ne peut y avoir qu'une cour ; elle ne peut être coupée en deux."

Ensuite, Kushihiko énonça ainsi sa décision : "Si mon père quitte le pays, je partirai avec lui."

En entendant ce rapport de son fils, Ohonamuchi se résigna à quitter Izumo. "Mais, dit-il, j'en ai encore un autre." Là-dessus, son autre fils Takeminakata (divinité du Grand Sanctuaire Suwa dans la préfecture de Nagano) apparut. Saisissant au-dessus de sa tête une grosse pierre que mille hommes auraient bien été incapables de soulever, il rugit : "Avez-vous l'intention de voler à la dérobée notre pays par vos conspirations ? Venez vous battre contre moi, si vous en avez l'audace !"

Sans même attendre que son défi soit relevé, Takemikazuchi saisit brusquement la grosse pierre et la lança en l'air, comme s'il s'agissait d'un simple petit caillou. Pris réellement de frayeur, Takeminakata s'enfuit, courut de toutes ses forces, poursuivit par Takemikazuchi jusqu'à ce qu'il arrive à la Mer de Shinano (le Lac Suwa dans la préfecture de Nagano). "Suwa !" (Hélas !) s'écria-t-il, alors que son poursuivant approchait (c'est de là que provient le nom de lieu Suwa). Takeminakata comprit alors que sa cause était perdue et, avec une soumission méprisable, il s'inclina devant Takemikazuchi.

"Épargne-moi, je te prie, supplia-t-il, et je jure que jamais plus je ne quitterai cet endroit, que jamais plus je ne défierai la volonté céleste." Comprenant que cette supplication venait du cœur, Takemikazuchi lui pardonna avec grâce et il repartit immédiatement pour Izumo. Là, il expliqua le serment de Takeminakata et il demanda à Ohonamuchi de céder la souveraineté sur la terre d'Izumo.

Ohonamuchi se soumit totalement à Takemikazuchi et Futsunushi, leur déclarant ceci : "Mes fils s'en sont allés et je vais partir aussi. Pour le cas où, après mon départ, d'autres devraient se lever dans une attitude de défi, je vous offre ma hallebarde Kusanagi avec laquelle vous pourrez les châtier. Grâce à elle, vous maintiendrez ce pays en votre pouvoir."
Ce disant, il leur abandonna le pays d'Izumo.

Après cet épisode, Takemikazuchi et Futsunushi parcoururent toute la région, mettant à mort ceux qui s'opposaient à eux et pardonnant avec clémence à ceux qui se pliaient à leur autorité. Une fois leur mission achevée avec succès, ils repartirent au Palais Imamiya près de la rivière Yasu pour rendre compte de leur campagne victorieuse à Takagi, le Takamimusubi. Le pays d'Izumo ayant retrouvé la paix, Takagi en assuma l'administration au nom de l'héritier souverain.

Le souverain publia alors un décret.

"Fukunushi, tu as bien respecté les conseils des divinités célestes et terrestres et tu as exalté notre noble autorité. Et toi, Takemikazuchi, tu as fait montre d'une grande bravoure dans ta conquête d'Izumo. Mais tu as aussi fait preuve de la véritable compassion d'un noble guerrier dans ton traitement miséricordieux des vaincus et dans le retour réussi de notre armée. Reçois sur le champ le titre de Seigneur Kashima, le Ministre de la Droite."

Ensuite, Ohonamuchi vint à la cour, accompagné de 180 de ses nobles afin de renouveler son serment d'allégeance au souverain. Constatant la sincérité de son serment, le Takamimusubi veilla à ce qu'un répit soit accordé à Ohonamuchi. Il fut donc décidé de lui donner un nouveau terrain à Akaru Asobe (actuellement le Sanctuaire Iwakisan dans le département de Naka-Tsugaru, préfecture d'Aomori). En compagnie de ses 180 nobles, il mit ces terres en valeur, améliorant les champs pour la culture du riz et apportant à nouveau la prospérité dans ce pays.

Ohonamuchi construisit le Palais Akaru Asobe Umoto, doté d'un pont surélevé d'une longueur de 1 000 travées (1 travée = 1,5 mètre) et érigé sur des madriers odoriférants en bois fraîchement raboté. Sur la toile de fond des pics Asobe verdoyants, cet édifice a dû ressembler à un palais magique suspendu dans le ciel.

Vues de loin, les nouvelles résidences des 180 nobles qui avaient accompagné Ohonamuchi à Tsugaru ressemblaient à un immense bouclier blanc, symbole de déférence construit de manière à entourer le palais et à protéger ainsi le seigneur. Ohonamuchi, renommé Utsushikunitama (littéralement "esprit retiré du pays") en référence à son départ d'Izumo, mourut ici et il a été loué depuis lors comme la divinité Tsugaru Umoto (Grande Divinité Originale de Tsugaru).

Amateru nomma alors Amano-Hohi pour administrer les affaires à l'ancien Palais Kitsuki d'Ohonamuchi à Izumo.

Ensuite, le Takamimusubi fit la déclaration suivante à Kushihiko, le fils d'Ohonamuchi : "Kushihiko, le Mononushi, si tu épouses une femme de ton pays, ton statut s'amoindrit. Tu dois épouser ma fille Mihotsuhime, diriger les 80 myriades de nobles et servir de protecteur à Ninikine, le petit-fils céleste." Kushihiko se vit alors accorder des terres à Yorogi dans la région d'Awaumi (actuellement le Sanctuaire Yorogi du département de Takashima dans la préfecture de Shiga), où il a lancé la culture des herbes médicinales. Kushihiko créa ici un jardin d'herbes et il fit pousser des milliers de plantes et d'arbres (yoro-ki, à l'origine des noms de lieu comme Yorogi no Mori et Nishi-Yurugi dans le département de Takashima). Il pila et goûta chacune de ces plantes, étudia leurs vertus médicinales et leur attribua de nouveaux noms.

Depuis des générations, les gens vont à ce Palais Yorogi pour guérir de leurs maladies. Même les oiseaux et les animaux y reçoivent un traitement et c'est ici qu'ont été établis les fondements de la médecine pratiquée dans le Japon ancien.

Mihotsu, l'épouse de Kushihiko, donna le jour à un garçon, appelé Mihohiko. Connu comme Yorogimaro pendant son enfance, il allait devenir le troisième dans la lignée d'Ohomononushi.

Par la suite, Mihohiko se fiança à Ikutamayori, la fille de Suyetsumi (vénérée au Sanctuaire Sue-Arata à Sakai, préfecture d'Osaka). Ensemble, ils eurent 18 fils. Il épousa également Shitatama, la fille de Koshi-Ajihase (qui serait révérée à un sanctuaire à Maruoka dans la préfecture de Fukui), et ils eurent ensemble 18 filles.

Mihohiko éleva ses 36 enfants avec un soin attentif, restant toujours conscient qu'ils lui avaient été confiés par le ciel. En reconnaissance de son dévouement désintéressé pour l'éducation et la protection de ses enfants, il fut décidé de lui octroyer le titre honorifique de Seigneur Komori ("Protecteur d'Enfants"), un nom qui allait le rendre immortel.

A la fin du sixième mois de chaque année, lorsque les grillons "semi" commencent à chanter, le Seigneur Komori se purifiait dans le ruisseau Semi (à Tadasu-no-Mori, actuellement une partie du Sanctuaire Kamo Mioya à Kyoto) et il passait sous une voûte d'entrée en paille, un acte symbolique de purification. Cet acte est resté dans la tradition japonaise comme le rituel "chi-no-wa", associé aux prières pour la longévité.

Chant des fils et des filles du troisième Mononushi :

(Les dix-huit fils d'Ikutamayori, fille de Suyetsumi)
Le premier enfant de Komori fut Kantachi, et le suivant Tsumiha.
Puis vint Yoshino-Mikomori. Le quatrième fut Yote,
et le suivant fut Chihayashi. Puis naquit Kosetsuhiko.
Le septième fut Narahiko, puis Yasakahiko.
Le neuvième fut Takefutsu et le dixième Chishiro.
Le onzième s'appela Minoshima et le douzième Ohota.
Le suivant fut Iwakura, puis Utamiwake, puis Tsukino-Mikomori.
Le seizième reçut le nom de Sagisu et le suivant de Kuwauchi.
Enfin, le dernier fut Otomaro.
(Les dix-huit filles de Shiratama, fille de Koshi-Ajihase)
La première fille fut Motome, puis naquit Tamame, puis Isori,
Puis Mureno, puis Mihaori, puis Suseri, puis Mitarashi,
Puis Yayeko, puis Koyuruki, puis Shimoto, puis Michitsuru,
Puis Hamomi, puis Mumechiru, puis Asa, puis Hasakura,
Puis Wakane, puis Awanari, et enfin Toyori.
Tels furent les 36 précieux enfants de Komori.

Chant d'acquisition de succession par le Seigneur Katsute :

Katsuragi Hitokotonushi* épousa Yasutama, fille de Suyetsumi,
et l'enfant qu'elle engendra était Katsukimaro, connu comme Yasuhiko.
Il reçut les récits de Mihohiko et Kokotomusubi**,
puis il servit à la cour d'Amateru à Isawa.
Là, la Grande Divinité lui conféra le nom de Katsute.
Ceci est une autre Voie du Chant de Succession.

* Second fils de Sosanowo
** Mihohiko, ou Komori, Ministre de la Droite, et Kokotomusubi, ou Kasuga, Ministre de la Gauche.

( Remarque )
La figure légendaire, connue comme Ohokuninushi (Okuninushi), s'appelait par le véritable nom d'Ohonamuchi. Son fils Kushihiko fut connu ultérieurement comme la divinité Ebisu. Le bouddhisme a été introduit d'Inde au Japon, via la Chine, quelque mille ans après les événements décrits ici. Une des divinités du panthéon bouddhique est Mahakara, ou "Le Grand Noir". En chinois, ceci fut traduit par "Da Hei", prononcé "Daikoku" en japonais. Il s'agit de la même réalité que "Daikoku", la prononciation japonaise de la version chinoise de Oho-kuni" (Da Guo). Cette homophonie a été à l'origine de la confusion entre les deux divinités à un moment de l'ère Muromachi.
Néanmoins, le caractère et la réalité historique de "Daikoku" dont se souvient maintenant la légende (inclus dans les "shichifukujin" ou les Sept Divinités de la Bonne Fortune) se fondent sur la divinité originaire du Japon, représentée dans cette légende.
En réalité, Hotsuma Tsutae nous dit que le nom "Ohokuninushi" fut donné au départ à Kushihiko, le fils d'Ohonamuchi, par Ninikine, le dixième souverain (le "Petit-Fils Céleste"). Toutefois, en raison de la similitude des deux caractères, le nom finit par être donné également au père. C'est ainsi qu'actuellement, le père est connu dans la légende comme Ohokuninushi, Ohonamuchi ou Kushikine, tandis que le fils l'est comme Kotoshironushi, Ebisu ou Kushihiko.

(Extrait du 10ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)


- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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