Hotsuma-Tsutae Le Livre de l'Homme (Chapitre 35) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


La visite d'Ame-Hiboko

On en était à la 39ème année du règne de Mimaki-Irihiko, connu plus tard comme l'Empereur Sujin. Cette année-là, un étranger du nom de Hiboko arriva par bateau au Pays de Harima. Ayant jeté l'ancre, il se dirigea vers le village de Shishiawa sur l'île d'Awaji.

Le souverain dépêcha immédiatement à Harima ses ministres Ohotomo-nushi et Nagao-ichi pour demander à Hiboko la raison de sa visite. Il répondit : « Je suis le fils du Roi de Shilla et je réponds au nom d'Ame-Hiboko. Quand j'étais dans mon pays, j'ai entendu dire qu'un dirigeant avisé régnait sur le territoire oriental situé au-delà de la mer, un chef qui révère les divinités et gère bien son administration. On m'a dit aussi que son peuple vivait dans l'abondance et que son pays était sagement développé. J'ai alors confié mon patrimoine à mon frère cadet Chiko et je suis venu servir ce dirigeant éminent. »

Les deux messagers revinrent à la cour où ils firent rapport de leur entretien avec l'étranger au souverain. Après consultation avec ses ministres, Mimaki publia le décret suivant à l'intention d'Ame-Hiboko : « Nous t'accordons les deux villages d'Itesa dans le Pays de Harima et Shishiawa à Awaji. Tu peux y vivre comme bon te semble. »

Entendant ceci, Hiboko répondit en toute humilité : « Si vous daignez me laisser vivre à l'endroit de mon choix, je voudrais faire le tour de ce magnifique pays avant de décider le lieu de ma future résidence. » Une proposition qu'accepta le souverain.

Hiboko remonta rapidement la rivière Uji et arriva bientôt au village d'Ana dans le Pays d'Awaumi (Ômi) où il séjourna un certain temps. Après avoir visité les beautés pittoresques d'Awauni, il établit un cantonnement pour son escorte et ses potiers dans le village de Hazama au pied du Mont Kagamiyama dont l'argile était bonne. Les résidents locaux accueillirent chaleureusement les nouveaux venus de l'étranger qui s'y installèrent de façon permanente.

Ame-Hiboko en personne se rendit dans le Pays de Wakasa, puis il fit route vers l'ouest en direction de Tajima. C'est là qu'il épousa Matawo, fille de Futomimi d'Izushima, un noble de la région. Elle lui donna un fils appelé Morosuke qui, à son tour, engendra Hinaragi, lui-même père de Kiyohiko dont le fils fut finalement appelé Tajimamori. Parmi eux, Tajima Morosuke allait être promu au rang de Ministre dans la 3ème année du règne d'Ikume-Irihiko (l'Empereur Suinin).

Dès son arrivée, Ame-Hiboko avait offert au souverain huit trésors apportés de son pays. Il s'agissait d'une gemme Haboso, d'une gemme Ashitaka, d'une gemme Ukaga, d'une courte épée Izushi, d'une lance Izushi, d'un miroir solaire, d'un kuma-himoroge (dont la signification est incertaine, mais considéré par certains comme une collection de bâtonnets sacrés) et d'une épée Ide-asa. Tous ces présents furent ensuite préservés et vénérés à Tajima.

Le 10ème jour du 7ème mois de la 88ème année du règne d'Ikume-Irihiko, le souverain publia un décret : « Nous avons appris que les trésors offerts à la cour par le Prince Hiboko de Shilla sont conservés à Tajima. Maintenant, après tant d'années, nous souhaitons soudain les voir. »

Un messager fut donc dépêché rapidement à Tajima chez Kiyohiko, l'arrière-petit-fils de Hiboko. Kiyohiko se rendit alors en hâte à la cour pour présenter les trésors au souverain. La gemme Haboso, la gemme Ashitaka, la gemme Ukaga, la lance Izushi, le miroir solaire, le kuma-himoroge et l'épée Ide-asa étaient bien là. Mais des huit trésors originaux, seul la courte épée Izushi manquait. Particulièrement intéressé par elle, Kiyohiko l'avait cachée dans la manche de son vêtement dans l'intention de la conserver.

Bien entendu, le souverain n'avait pas conscience de ce fait et il était ravi de la réponse rapide de Kiyohiko. Ayant examiné brièvement les trésors, il offrit à son hôte une coupe de miki (saké ou vin de riz). Mais à mesure qu'ils échangeaient les coupes d'alcool, Kiyohiko bassa sa garde. S'avançant pour recevoir une nouvelle rasade, la courte épée glissa de son vêtement et tomba sur le plancher. Le souverain lui demanda ce dont il s'agissait. Réalisant qu'il ne pouvait plus cacher son recel, il soumit l'arme à son hôte avec résignation. « Ce trésor est-il si spécial que tu ne peux pas supporter de t'en séparer ? » lui demanda le souverain. Et c'est ainsi que tous les huit présents furent sauvegardés parmi les trésors de la cour.

Un peu plus tard, lorsque la salle des trésors fut ouverte, on découvrit que la courte épée avait à nouveau disparu. Aussitôt le souverain convoqua Kiyohiko et lui demanda : « L'épée disparue serait-elle par hasard chez toi ? » A ceci Kiyohiko répondit : « A la fin de l'année dernière, la courte épée est apparue d'elle-même de façon étrange dans ma maison. Mais le lendemain matin, elle avait à nouveau disparu. »

Apprenant ceci, le souverain ajusta son vêtement et, acceptant cette explication, il décida de ne plus jamais aborder cette question. En fait, la courte épée s'était envolée jusqu'à l'île d'Awaji où elle est révérée comme divinité par la population locale.

Les machinations du Prince Sahohiko

Le Prince Yisosachi avait accédé à la dignité souveraine, adoptant le nom d'Ikume-Irihiko (l'Empereur Suinin) le premier jour de la nouvelle année, alors qu'il avait 42 ans. Il était d'un naturel honnête, son cæur était toujours pur, droit et noble. Sans être extravagant, son tempérament était généreux.

Au 2ème mois de l'année suivante, il éleva la Princesse Sahohime à la position de compagne principale, il déplaça sa capitale à Makimuki et donna le nom de Tamakimiya à son nouveau palais. Le 12ème mois, Sohohime lui donna un fils qu'ils appellèrent Honzuwake. De naissance, cet enfant ne pouvait prononcer aucun son. La même année, le Roi de Mimana (Imma) dépêcha un messager du nom de Sonakashichi pour offrir au souverain un tribut en guise de compliment pour la naissance de son enfant.

En échange, Ikume-Irihiko offrit à Sonakashichi un peu de miki (saké), ainsi qu'une centaine de longueurs de brocart multicolore et du sergé à motifs pour qu'il les présente au Roi de Mimana. Pendant son voyage de retour, Sonakashichi dressa sur son bateau l'étendard de Shihonorihiko (un héros célèbre renommé pour sa bravoure). En conséquence, il put voguer en sûreté sur la mer sans être inquiété par le peuple de Shilla.

Le 1er jour du 9ème mois de la 4ème année, le Prince Sahohiko qui était le frère de Sahohime, la compagne du souverain, posa tout à coup la question suivante à la Princesse : « Qui aimes-tu, ton frère ou ton mari, le souverain ? » A ceci, elle répondit : « J'aime mon frère. »

« C'est bien ce que je pensais, continua-t-il. A présent, tu sers ton maître avec tes charmes féminins, mais tes attraits vont se flétrir avec le temps. En revanche, le lien qui t'unit à ton frère est immortel. Si tu te joins à moi pour prendre le pouvoir, nous pourrons dormir en paix et profiter de beaux rêves pendant le reste de notre vie. Es-tu prête à transpercer le souverain pour moi ? »

Ce disant, il sortit de ses vêtements une dague à cordon qu'il lui remit de force. Sahohime comprit le sérieux des intentions ténébreuses de son frère et elle sut qu'il lui serait impossible de protester. Son cæur tremblait devant sa propre impuissance. Mais tiraillée par son sentiment de culpabilité, elle était sur le point de se résigner. Comme le lui avait ordonné son frère, elle cacha donc la dague dans la manche de son vêtement et, à compter de ce jour, elle versa des larmes de désespoir en pensant aux ambitions malfaisantes de son frère.

On en était au 1er jour du 6ème mois, le mois de la verdure et des senteurs, de l'année suivante, la cinquième. Le souverain partit pour une tournée des provinces attendue depuis longtemps, quand, un jour, il fit un petit somme sur les genoux de sa compagne au Palais Takamiya à Kume.

Tout-à-coup, la Princesse se rendit compte que le moment semblait venu pour mettre à exécution le souhait de son frère. Mais à cette pensée, des larmes coulèrent sur ses joues et certaines tombèrent sur le visage du souverain qui se réveilla de son paisible sommeil. Il lui dit ceci : « Je rêvais d'un serpent couvert de brocart, enroulé autour de mon cou. Mais tout–à-coup, la pluie a commencé à tomber au-delà de la Rivière Saho et elle a humecté mon visage. Quelle peut bien être la signification de ce rêve ? » s'enquit-il. La Princesse ne peut se contenir plus longtemps et, fondant en larmes, elle lui dévoila le complot de son frère.

« Je n'ai pas pu trahir la bonté gracieuse de mon seigneur. Mais si je vous dévoilais le projet de mon frère, celui-ci serait exterminé. Si je ne disais rien, le pays tout entier serait sens dessus-dessous et détruit par de nouvelles calamités. Dans la peur et la tristesse, j'ai passé de nombreuses journées à retenir ces larmes de sang. Alors que vous vous reposiez dans mon giron animé d'une totale confiance en moi, j'ai pensé que le moment était venu d'accomplir ma tâche diabolique. Cela m'a fait pleurer. Alors que, de ma manche, j'essuyais mes larmes, quelques-unes sont tombées sur la joue de mon seigneur. Telle est l'explication de votre rêve. Sans aucun doute, il évoque aussi la déloyauté de mon frère et ceci doit être le serpent couvert de brocart » dit-elle, en sortant de sa manche la dague à cordon.

Voyant l'arme effilée, Ikume-Irihiko publia immédiatement un décret, ordonnant à Yatsunada qui détenait un contingent dans une région voisine de lever aussitôt une armée contre Sahohiko.

Sahohiko eut rapidement vent de la tournure des événements et il rassembla lui aussi sa propre armée. Il construisit un château en paille de riz qu'il défendit vigoureusement, déterminé à ne pas capituler facilement. La bataille tourna d'abord en faveur d'un camp, puis de l'autre et elle se poursuivit longtemps sans résultat décisif.

Entre-temps, le coeur de la Princesse Sahohime oscillait entre les deux, ce qui aiguisa encore sa tristesse. « Si mon propre frère et ma famille sont exterminés, quelle raison ai-je encore de rester en vie ? » se dit-elle. Et elle entra alors dans le château de paille de riz, emportant son enfant avec elle.

C'est alors qu'Ikume-Irihiko publia l'ordre suivant : « La Princesse et son enfant doivent être renvoyés. » Mais ils ne le furent pas et en dernier ressort, Yatsunada mit alors le feu au château de paille. La Princesse remit alors l'enfant à une nourrice et, à travers les flammes, elle appela la souverain :

« Je suis venue dans ce château de paille de riz avec le prince pour tenter d'absoudre mon frère de son crime. Mais je comprends que je dois partager sa culpabilité. Même si je meurs, je n'oublierai pas la bonté de mon seigneur. Lorsque j'aurai disparu, nommez, je vous prie, les cinq filles de Taniha-Chinushi pour me succéder. »

A peine le souverain eut-il accepté ce souhait que le château fut complètement englouti par les flammes et qu'il s'effondra totalement. Après que tous les hommes de Sahohiko eurent pris la fuite, lui-même et la Princesse périrent, emportés dans les flammes du château.

Quand la situation fut revenue à la normale, Ikume-Irihiko fit l'éloge de Yatsunada pour ses bons offices et il lui conféra le nom de Take-Himuke-Hiko.

Le 2ème jour du 9ème mois de la 23ème année, le souverain publia le décret suivant : « Notre fils Honzuwake a déjà 22 ans et sa barbe s'allonge. Pourtant, il crie encore comme un enfant et ne parle pas. Quelle pourrait en être la raison ? »

Les ministres débattirent de cette question et ils demandèrent à la Princesse Yamato de prier les dieux de sorte que le Prince parvienne enfin à parler.

Le 8ème jour du 10ème mois de cette année, le souverain se rendit avec Honzuwake au Grand Hall pour admirer les paysages de l'automne. C'est alors que, voyant un cygne voler dans le ciel, le Prince s'exclama : « Cela, qu'est-ce que c'est ? »

Etonné et rempli de joie, le souverain demanda aux gens de sa suite : « Qui d'entre vous va attraper cet oiseau ? » A quoi Yukawadana répondit : « Seigneur, j'y vais de ce pas ! » Et le souverain l'encouragea par ces mots : « Si tu parviens à capturer cet oiseau, tu seras richement récompensé. »

Yukawadana se mit donc à la poursuite de l'oiseau dans la direction de son vol, passant par Tajima et jusqu'à Izumo où il captura finalement le volatile sur la plage à Uyaye. Il revint à la capitale le 2ème jour du 11ème fois et il offrit l'oiseau au Prince Honzuwake. Celui-ci s'amusa affectueusement avec l'oiseau et il parvint à parler normalement. Le souverain fit l'éloge de Yukawa à qui il conféra le nom de famille de Toritoribe (“Guilde des attrapeurs d'oiseaux”).

(Empereur Suinin)
Le premier du premier mois en l'année 689 d'Asuzu, le Prince Yisosachi accéda à la dignité souveraine à l'âge de 42 ans. Il se fit ensuite appeler Ikume-Irihiko (connu par la suite comme le onzième empereur Suinin).

Pendant le deuxième mois de la deuxième année, Ikume-Irihiko déplaça la capitale à Makimuki et donna à son nouveau palais le nom de Tamakimiya.

Au cours de la septième année, un des ministres du souverain vint lui transmettre une information alarmante. "A Taema vit un homme redoutable, appelé Kuehaya, dit-il. Se prévalant d'une force colossale, il affirme être capable de plier des objets en métal et de briser des cornes. Récemment, il s'est fait fabriquer un arc géant en métal et il se vante de pouvoir décocher des flèches même avec ses jambes. Il déplore de ne trouver personne qui puisse ou ose se mesurer à lui dans une épreuve de force. Avide de trouver un adversaire, il ne souhaite pas finir sa vie en vain, affirme-t-il."

A cette nouvelle, le souverain rassembla aussitôt ses ministres. "Quelqu'un est-il capable de surpasser la force de ce Kuehaya ?" leur demanda-t-il.
"Je propose Nomi no Sukune d'Izumo !", répondit l'un d'entre eux. Aussitôt, Ikume-Irihiko dépêcha Nagao-Ichi pour convoquer Nomi no Sukune qui accepta avec joie de relever le défi. Le souverain décréta alors que l'affrontement aurait lieu le lendemain et il définit les règles du combat.

Dans la précipitation, un monticule de terre (hani-wa) en forme de cercle fut rapidement aménagé près de la résidence (sumayi) d'Ikume-Irihiko à Makimuki. Kuehaya de Taema pénétra dans le cercle par l'Est et Nomi no Sukune par l'Ouest. Les deux se mirent alors face à face et commencèrent à se donner des coups de pieds. Nomi prit l'ascendant sur son adversaire Kuehaya dont il brisa le flanc d'un coup vigoureux. Il se mit ensuite à lui piétiner le dos jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Le souverain leva alors son éventail et fit un grand bruit en le claquant. A leur tour, les ministres poussèrent de grands cris pour faire l'éloge de Nomi no Sukune. En guise de récompense pour sa victoire, Nomi reçut l'arc métallique de Kuehaya et les terres qu'il occupait à Taema, ainsi que la femme et les propriétés familiales de son adversaire. Toutefois, il n'eut jamais le bonheur d'avoir des enfants. Pour le reste de sa vie, Nomi fut glorifié comme le Maître de l'Arc (yumitori).
Etymologies et mots dérivés