Hotsuma-Tsutae Le Livre du Ciel (Chapitre 9) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Sosanowo et le Dragon à huit têtes d'Izumo

Sosanowo, le fils cadet d'Isanagi et d'Isanami, avait une nature sauvage et dévergondée. Du fait de son désir malsain d'affection maternelle, il avait longtemps empoisonné l'administration de ses parents. Cruellement contrariée par les actions malveillantes de son fils, Isanami a fait construire le Sanctuaire de Kumano (actuellement le Grand Sanctuaire de Kumano dans la préfecture de Wakayama) dans l'espoir d'exorciser son esprit indiscipliné. Et c'est là qu'elle allait quotidiennement implorer les dieux à cet effet.

Un jour, Sosanowo alluma un feu sur la montagne de Mikumano, ce qui déclencha un incendie dans la forêt. Pour sauver les villageois du danger, Isanami se confina dans le Sanctuaire de Kumano où elle pria Kagutsuchi, la divinité du feu, de bien vouloir étouffer le foyer d'incendie. Mais tragiquement, elle fut enveloppée elle-même par les flammes déchaînées qui ravirent sa vie.

Par la suite, torturé par un sentiment de culpabilité du fait de ses actions qui avaient causé la mort de sa mère bien-aimée, Sosanowo passa de nombreux jours en pérégrinations inconsolables

Amateru avait reçu des nouvelles urgentes de son grand-père Toyoke (le père d'Isanami) et il était allé séjourner au Palais de Miyazu. Sachant sa fin prochaine, Toyoke convoqua Amateru et tous les nobles pour leur transmettre le décret sacré de la divinité Kunitokotachi: "Le souverain sera le père de nombreuses générations." Il ordonna ensuite à Sarutahiko de sceller l'entrée de sa tombe et il passa ainsi de vie à trépas.

Un jour, Sosanowo représentait son frère Amateru lors d'une visite au Sanctuaire Asahi à Manaigahara (actuellement le Sanctuaire Hinumanai dans la préfecture de Kyoto), où Toyoke était révéré comme Asahikami (la divinité du Soleil du Matin). C'est alors que, parmi la foule venue pour les dévotions, il découvrit une magnifique jeune fille qui captiva aussitôt son cœur. "Qui est-elle ?" s'enquit-il auprès de ses servantes. "C'est la Princesse Hayasuu, la fille d'Akatsuchi, le seigneur de la province de Hayami à Tsukisumi" lui répondit-on. (Hayasuu est révérée à présent au Sanctuaire Hayasuihime dans la préfecture d'Oita au Kyushu). Aussitôt, Sosanowo envoya un messager au Palais d'Akatsuchi pour demander la demoiselle en mariage. Mais un conseil des nobles décida qu'étant donné sa délinquance et son comportement sauvage, il ne pouvait être autorisé à disposer de son propre palais et la proposition de mariage fut par conséquent rejetée.

Connu pour sa nature d'un égoïsme inné, Sosanowo éprouva alors les sentiments d'un noble jeune et fier qui vient de voir ses rêves cruellement anéantis. Ses actes de violence ne firent que s'intensifier et sa rage se dirigea désormais vers la cour d'Amateru. Il s'introduisit par le toit de la salle où étaient tissés les vêtements rituels pour le Niiname (le Festival des Prémices), laissant ensuite pénétrer une jument pie dans la pièce. Le destin a voulu que, sursautant de surprise, la Princesse Hanako (vénérée actuellement au Sanctuaire Wakasakura dans la préfecture de Nara), une des suivantes d'Amateru occupées à tisser les vêtements rituels, se blessa mortellement avec la navette du métier à tisser.

Amateru, qui avait toujours traité son frère avec impartialité, dissimula son chagrin devant la perte de la princesse et sa colère face à l'action meurtrière de Sosanowo. En revanche, il composa un chant de réprimande :
Ame ga shita yawashite meguru hitsuki koso
harete akaruki tami no tara nari

("Nous sommes les vrais parents du peuple,
brillant clairement comme le soleil et la lune
qui traversent les cieux et dominent le monde d'en bas.")
Mais Sosanowo n'accorda aucune attention aux avertissements de son frère et sa conduite délinquante ne fit qu'empirer. Les nobles furent convoqués et, après délibération, ils le condamnèrent au châtiment de 1 OOO degrés (mikidagare ou la "triple mort", par laquelle la victime serait sujette à des rigueurs suffisantes pour mourir trois fois). Mais heureusement, sa vie fut épargnée grâce à la compassion de Seoritsu, la compagne principale d'Amateru, et la sentence fut réduite en bannissement.

Dépourvu de la splendeur et des privilèges inhérents à la vie de la cour, Sosanowo se trouvait réduit au rang de "shitatami" (roturier). Errant dans la misère à travers un pays rude et impitoyable, il s'affubla d'un manteau de paille et se coiffa d'un chapeau de laîche par crainte d'être reconnu par son frère Amateru. Comme tout criminel ordinaire, nulle part il ne trouvait le répit, aucun endroit ne lui permettait de dormir en paix. Il ne pouvait qu'errer de village en village en quête d'une maigre pitance et partout il rencontrait le regard soupçonneux des gens et leurs malédictions pour ses méfaits. Honteux, traînant les pieds et rôdant de porte en porte, il arriva finalement à la maison d'un parent éloigné, appelé Soshimori Tsurumeso, un fabricant d'arcs de Sahoko dans le Pays de Ne. Celui-ci donna le gîte à Sosanowo en le considérant comme une pauvre personne à charge.

Le gouverneur de cette région s'appelait Sada (vénéré à présent au Sanctuaire Sada dans la préfecture de Shimane). Ashinazuchi, un de ses parents, avait huit filles que lui avait donné une femme appelée Tenitsuki, originaire de Soo au Kyushu. Mais avant d'arriver à l'âge adulte, sept de ces enfants avaient déjà été dévorés par un terrible dragon, causant un chagrin indicible à leurs parents.

Dans une vallée aux huit embranchements située dans la partie supérieure de la Rivière Hikawa (préfecture de Shimane), une région sans cesse enveloppée de brouillard et de nuages, un dragon à huit têtes se terrait dans les bois de pins et de muscadiers qui poussent sur les flancs des montagnes. Les sept filles lui avaient déjà été livrées en sacrifice et l'horrible animal attendait de pouvoir dévorer la dernière. Celle-ci s'appelait Inada (honorée à présent au Sanctuaire Inada dans la préfecture de Shimane). Alors qu'ils réfléchissaient à son effroyable destin, ses parents ne pouvaient que caresser les bras et les jambes d'Inada en gémissant tristement.

Apprenant ce récit pitoyable et animé par sa passion, Sosanowo se rendit à la demeure d'Ashinazuchi et de son épouse qui lui exposèrent la cause de leur chagrin. Le cœur de Sosanowo se mit aussi à brûler de compassion pour la malheureuse Inada et il résolut de la sauver de ce terrible destin.

"Laissez-moi épouser votre fille", dit-il au couple. A peine eurent-ils repris leurs esprits après le choc de cette proposition soudaine que les parents demandèrent : "Mais qui es-tu ?"

"Je suis Sosanowo, le frère cadet du Seigneur Amateru" dit-il, dévoilant pour la première fois sa véritable identité. Et c'est ainsi qu'il devint fiancé de la Princesse Inada.

Inada avait déjà été infectée par le poison du serpent et elle souffrait d'une forte fièvre. Voyant ceci, Sosanowo dégaina son épée et il coupa les coutures sur les côtés de ses vêtements, ce qui améliora la circulation de l'air et fit baisser progressivement la fièvre. C'est pour cette raison que, jusqu'à nos jours, les kimonos des enfants ont des fentes sur les côtés.

Sosanowo cacha alors Inada dans la maison du fabricant d'arcs et il s'habilla des vêtements de la jeune femme. Ayant fiché des peignes de buis dans sa chevelure, il partit seul pour la vallée profonde de la Rivière Hikawa. Sur place, il brassa une grande quantité d'alcool de riz dans des creux de la montagne et il se mit à attendre l'apparition de l'animal.

A peine s'était-il caché que l'obscurité tomba, comme si des nuages noirs avaient rempli le ciel. Puis le tonnerre retentit et un énorme dragon à huit têtes apparut. Il ingurgita les huit baquets de liqueur préparés par Sosanowo et tomba bientôt dans un sommeil profond, conséquence de son état d'ébriété. Aussitôt, Sosanowo brandit son épée à huit manches et, en un tournemain, il dépeça l'hydre assoupie. Ce faisant, il trouva dans sa queue une épée qui, dans la légende ultérieure, allait devenir la célèbre épée Haha Murakumo.

Ayant écrasé le dragon octocéphale, Sosanowo épousa la Princesse Inada qui donna le jour à un garçon appelé Oyahiko. Ces deux événements redonnèrent confiance à Sosanowo qui en oublia sa chute au rang des roturiers. Il se hâta donc pour annoncer ces bonnes nouvelles à sa sœur Shitateru (Wakahime) qui résidait à Yasu (près de la Rivière Yasu dans la préfecture de Shiga, probablement au Sanctuaire Mikami).

"J'ai produit un héritier, j'ai remporté la victoire !" s'écria-t-il dès son arrivée.

Par là, il faisait allusion au serment fait lors de son bannissement de la cour. Il avait imploré Amateru de le laisser aller à Yasu, le lieu de résidence de sa sœur bien-aimée Wakahime (qui avait pris le nom de Shitateru après ses fiançailles à Omohikane), lors de son voyage vers le Pays de Ne. Mais, par crainte de son tempérament sauvage et violent, elle avait refusé de le voir. Quand elle lui avait demandé de révéler ses véritables intentions, il avait prononcé le serment unilatéral suivant :

"Je vais me rendre au Pays de Ne ou je prendrai femme et aurai un enfant. Si c'est une fille, je serai avili. Mais si c'est un garçon, je serai pur et juste. Tel est mon serment !"

Une nouvelle fois, Sosanowo vint donc, sans invitation, signaler la réalisation de son serment. Mais aux yeux de sa sœur, il n'était pas encore possible de pardonner ses innombrables actions intolérables.

"Quoi, tu reviens ici avec ce cœur impur ?" riposta-t-elle. "N'as-tu pas honte ? Tu es la cause de toute les perturbations du royaume pendant ces huit années. Rien que ce souvenir me rend malade. Repars d'où tu wes venu !"

Blessé au vif par la rebuffade inattendue de sa sœur, Sosanowo repartit vers le nord, le cœur lourd.

Un peu plus tard, Sosanowo et Inada conçurent un second enfant, une fille du nom d'Oyahime, puis une autre appelée Tsumatsuhime, suivie d'un second garçon qui reçut le nom de Kotoyaso. Tous ensemble, ils vécurent en cachette.

Peu après le bannissement de Sosanowo, les chefs des six bandes de rebelles "hatare" se mirent à réunir des partisans dans tout le pays, suscitant des actions violentes dans l'espoir de renverser l'administration d'Amateru. Ils se mirent bientôt à attaquer la cour de toutes parts, comme le ferait à une avalanche.

Conséquence de leur pillage et de leurs déprédations, le pays fut mis sens dessus dessous. Les habitants furent éparpillés et éloignés de leur région, les champs restant en friche. Les logements en creux furent abandonnés, incendiés, et le peuple se retrouva dans la misère et les ténèbres.

Après des délibérations répétées parmi les nobles au sujet de cette crise nationale, la résolution fut prise de vaincre les hatare. Grâce aux actions valeureuses de guerriers tels Kanasaki (le Maître de la Purification, vénéré plus tard comme la divinité Sumiyoshi), Takemikazuchi (divinité tutélaire du Grand Sanctuaire Kashima), Futsunushi (divinité du Grand Sanctuaire Katori), Kadamaro (divinité du Sanctuaire Kada), Ifukinushi (divinité du Sanctuaire Ifuki dans la préfecture de Gifu), Kumano-Kusuhi (vénéré au Grand Sanctuaire Kumano) et Tachikarawo (divinité du Sanctuaire Tachikarawo dans la préfecture de Gifu), les chefs des hatare furent tous capturés et ligotés, ce qui mit fin à leurs insurrections.

Pendant cette crise, Amateru s'était paisiblement purifié dans le courant pur d'une chute d'eau et il avait finalement mis au point les genres de magie qui pourraient vaincre les hatare. Il avait équipé ses guerriers de cette magie, les conduisant à la victoire au terme d'un combat de huit ans contre les hatare. Ainsi, le règne d'Amateru avait retrouvé sa paix et des rayons d'espoir commençaient à nouveau à briller.

Mais le moment n'était pas encore venu de se montrer satisfait. Car la cause profonde de ces huit années d'anarchie résidait totalement dans le complot du gouverneur de Ne et de ses acolytes. Et ils couraient toujours en liberté, cachés quelque part dans le Pays de Sahoko.

Aussi Amateru ordonna-t-il à Ifukinushi, le fils de son frère Tsukiyomi, de lever une armée pour les vaincre. Ifukinushi accepta fièrement cette lourde tâche et, en compagnie de 80 guerriers à cheval, il partit d'abord pour Sahoko (San'in). Là, au Sanctuaire Asahi où est révéré le Seigneur Toyoke, ils prièrent pour le succès de leur mission. Puis, ils se mirent en marche sur le chemin d'Izumo.

Alors qu'ils s'avançaient, un homme sauta tout à coup devant le cheval d'Ifukinushi. Il avait l'aspect d'un roturier et était resté prostré au bord du chemin en attendant l'arrivée de la cohorte. Rejetant son vêtement de paille, son chapeau de laîche et son épée, il se prosterna devant le noble et, en soliloque, il se mit à murmurer des prières. De ses yeux coulaient des flots de larmes.

Ce personnage n'était autre que Sosanowo, l'oncle d'Ifukinushi, qu'il rencontrait pour la première fois en huit ans dans des circonstances bien misérables.

Sosanowo s'était rendu compte que son attitude hautaine avait attisé les rébellions des hatare et que tous les malheurs qui étaient arrivés dans le royaume lui étaient imputables. De là venaient ses larmes de honte. Agenouillé pour exprimer sa révérence à son neveu, Sosanowo entonna un chant pour implorer le pardon de son parent. Le voici :
amo ni ochiru aga minokasa yu
shimu ni miki michihi hasama de
arafuru osore

("Moi, tombé en disgrâce, je suis vêtu maintenant de paille et de laîche. Je me repens d'avoir perturbé le siège d'un parent pendant 3 000 jours.)
Sosanowo répéta trois fois son chant, composé dans le sang et les larmes. Le cœur d'Ifukinushi fut tellement ému par l'émotion de son oncle que, lui aussi, se mit à verser des larmes de compassion. Ayant vu son oncle le genou humblement en terre, Ifukinushi descendit de sa monture et il tendit la main à Sosanowo pour l'aider à se redresser.

"Pour regagner la confiance d'Amateru, tu dois désormais te concentrer sur des actions vertueuses et tu seras alors pardonné, dit-il. Commence par nous aider et joins-toi à nous pour battre les gouverneurs locaux."

Ayant ainsi réaffirmé et renforcé leurs liens de parenté, ils continuèrent jusqu'au Palais de Sada pour y passer la nuit. Là, ils tinrent un conseil de guerre, entendirent les renseignements pris à propos de l'ennemi et définirent leur stratégie. Renforcée par l'arrivée de Sosanowo, l'armée du souverain attaqua les gouverneurs locaux Shirahito et Kokumi, initiateurs des soulèvements par les hatare, et les autres serpents.

Lorsque la nouvelle de leur succès parvint à Amateru, toute la cour se réjouit, déclenchant des scènes de joyeuses célébrations.

Au cours de ces festivités, la devineresse Uzume dansa et chanta en pinçant la corde d'un arc pour accompagner sa musique. Ceci donna à Amateru l'idée de fabriquer une cithare à six cordes en bois de mûrier, un instrument qu'il offrit à sa sœur Wakahime. Elle joua alors sur cette cithare dont elle appela les six cordes Kada, Fuki, Kanade, Nega, Ha et Hire. La cithare elle-même reçut le nom de Yagumo-Uchi ("Défaite des Huit Nuages"), car c'était comme si le dragon ivre d'Izumo avait été ligoté par les six cordes.

Une autre cithare fut appelée Kadagaki (précurseur du biwa japonais), un instrument portable à trois cordes. Elle était fabriquée en forme de feuille et de fleur du maranta, par imitation d'une graminacée, le susuki, qui s'accrochait au maranta, poussant sur la palissade autour du palais d'Isanagi.

Par ailleurs, la cithare à cinq cordes produisait un son qui se réverbérait dans les principaux organes du corps, améliorant la circulation du sang. Lorsque cet instrument fut utilisé pour enseigner le Chant de A et Wa (Awa no Uta), il améliora la capacité des gens à apprendre le chant et il contribua par conséquent à le populariser.

Les noms des six tonalités de la cithare (Kada, Fuki, Kanade, Mega, Ha et Hire) étaient aussi d'importantes stratégies qui ont mené aux victoires éclatantes dans les batailles contre les hatare, Shirahito et Kokumi, ainsi que les dragons d'Izumo. En effet, les connaissances magiques obtenues par Amateru tandis qu'il se purifiait sous la cascade pure devinrent six armes utiles contre les hatare. Les insurrections avaient été réprimées et la nation avait retrouvé la paix grâce aux exploits des guerriers à qui Amateru avait conféré ces six armes.

Par la suite, Amateru fit l'éloge de Mochitaka (le imina ou surnom d'Ifukinushi) pour sa remarquable victoire contre Shirahito, Kokumi et les autres adversaires. En échange, il lui accorda le comté de Yamata (actuellement Oyamada et la région d'Iga dans la préfecture de Mie), une allusion au dragon à huit têtes (yamata) d'Izumo. Il lui donna aussi le nom de la divinité Ibuki d'Awa (révérée actuellement au Sanctuaire Awa à Oyamada).

Au même moment, les nobles se rassemblèrent pour discuter du "chant de sang et de larmes", interprété avec sincérité par Sosanowo. Grâce à son attitude pleine de remords, ses excès passés furent épongés et ses crimes entièrement pardonnés. En reconnaissance de sa participation à la défaite de ce qui restait des hatare à Yaetani (la vallée à huit niveaux) dans la partie supérieure de la rivière Hikawa, Amateru lui conféra le nom de la divinité Hikawa. Il lui remit aussi l'étendard Yaegaki (signalant sa nomination comme Chef de la garde du souverain) en disant : "Ceci sera ta terre".

Pour la première fois en huit ans, Sosanowo entreprit alors une procession jusqu'au palais d'Amateru, afin de lui exprimer sa joie et sa gratitude d'avoir été rétabli dans ses faveurs comme un de ses ministres.

Pour Sosanowo, ces huit années avaient été empreintes de tristesse et de misère, mais la cause en avait été ses actions délictueuses. Ces souvenirs purent toutefois être effacés en un instant par la majesté de la cour. Tel était le monde dans lequel il était né, où il avait vécu avec Isanagi et Isanami, ses parents défunts, le monde qu'il avait partagé dans sa jeunesse avec son frère estimé Amateru, sa chère sœur Wakahime et son frère Tsukiyomi. Telle était en effet la scène originale de la "Cour du Ciel suprême" à laquelle il appartenait. Le temps avait passé et les gens avaient changé, mais ce retour suffit à faire bondir son cœur et couler ses larmes. Comme il appréciait et révérait à nouveau le milieu dans lequel il était né !

Cette fois, en échange du vaillant combat livré par Sosanowo contre le dragon d'Izumo et de son aide dans la lutte contre Shirahito et Kokumi, Amateru exerça sa propre autorité souveraine pour lui octroyer un palais dans un endroit appelé Suga, d’où tous les esprits maléfiques avaient été exorcisés par des purifications. C'est là que Sosanowo reçut l'autorisation de construire sa résidence. A ce palais, il donna le nom de Kushi-Inada (actuellement le Grand Sanctuaire d'Izumo dans la préfecture de Shimane) en guise d'expression de respect sincère envers son épouse Inada. En effet, elle avait continué à le soutenir pendant toute cette sombre période et tenté de lui redonner espoir.

La partie "Kushi" dans le nom était supposé honorer l'esprit exquis du soleil incarné dans le Seigneur Amateru. Le nom de la province de Sahoko fut changé et un décret, marquant la création du Pays d'Izumo, fut publié à l'intention de toute la nation.

Sosanowo administra le Pays d'Izumo dans l'esprit "Amenari-no-Michi" (la "Voie du Ciel", une doctrine de gouvernement spirituel) et les habitants de son pays vécurent à nouveau dans la paix et la prospérité.

La construction du nouveau palais, imprégné de passion et de nobles idéaux, prit bien plus de temps qu'on ne l'avait imaginé. Avant qu'il ne soit achevé, Inada conçut à nouveau un enfant. La joie de Sosanowo fut sans comparaison possible, car cet heureux événement signalait le début d'un brillant avenir pour le Pays d'Izumo. Il entonna alors ce chant :
yakumo tatsu Isumo yaekaki
tsuma kome ni yaekaki tsukuru
sono yaekaki o

("Huit Nuages se lèvent, le Protecteur d'Izumo ; pour protéger ma femme, je construirai une palissade à huit rangs, cette palissade à huit rangs" – Jeu de mots sur le sens double de "Yaegaki", à savoir "Protecteur" et "Palissade à huit rangs".
Plus tard, Sosanowo dédia ce chant de célébration à Wakahime, sa sœur bien-aimée. Puis celle-ci composa une musique pour l'accompagner sur la cithare Yagumo-Uchi qu'elle avait reçue d'Amateru et elle la présenta à la princesse Inada. Ceci fut connu ensuite comme le chant de la cithare Yagumo-Uchi.

Comme s'il avait été invité par les tonalités douces et gracieuses de la cithare, un esprit mystique descendit sur le palais. La Princesse Inada donna alors le jour à un garçon, un héritier qui gouvernerait ce royaume d'Izumo nouvellement créé. Il fut nommé Kushikine ("Garçon à l'Esprit Merveilleux"), puis il reçut le nom d'Okuninushi ou "Grand Seigneur du Pays". Il allait gouverner son peuple avec un soin particulier (comparable aux tonalités gracieuses de la cithare) et les gens venaient à lui pour entendre ses enseignements compatissants. Pour cette raison, il fut connu aussi comme Yashimashi-Nomi no Onamuchi (Grand Noble des Huit Pays). Le nom du second enfant qu'engendra Sosanowo fut Otoshi Kuramusubi. Il fut suivi par un autre garçon du nom de Katsuragi Hikotonushi et, finalement d'une fille, Suserime. Ceci porta à cinq garçons et trois filles le nombre des enfants procréés par Sosanowo et Inada.

Plus tard, Amateru éleva Kushikine au rang de Mononushi (ou Omononushi, le "Grand Seigneur des Armes") et il lui donna en mariage sa fille Takeko (la Princesse Nakatsuhime, révérée actuellement au Sanctuaire Chikubushima dans la préfecture de Shiga).

Kushikine et Takeko produisirent d'abord un garçon, appelé Kushihiko (connu aussi comme Kotoshironushi, la divinité Ebisu), suivi d'une fille appelée Takako (Takahime ou Takateruhime) et finalement un autre garçon à qui on donna le nom de Suteshino Takahikone.

De naissance, Kushihiko était d'une nature douce et il fit preuve d'une grande habileté dans l'administration du pays, ce qui lui gagna la confiance et l'affection de la population. Même les années de fortes pluies ou de dégâts provoqués par le gel ou des typhons, ou les années de sécheresse résultant du manque de pluies estivales, il y avait toujours d'amples réserves de céréales pour éviter les disettes et le pays vécut ainsi dans la paix et l'affluence.

Un jour, Kushikine prodiguait ses conseils sur l'agriculture au Cap Sasa dans le Pays d'Awa (le Sanctuaire Sasaki à Gamo-gun, dans la préfecture de Shiga). C'est alors qu'il vit arriver de la rive opposée du Lac Biwa un bateau à la proue duquel était attaché un miroir.

Onamuchi demanda à ses hommes à qui appartenait ce bateau, mais aucun ne put lui répondre. Toutefois, l'un d'eux, appelé Kuyehiko (vénéré au Sanctuaire Kuenbiko, partie du Sanctuaire Ogami dans la préfecture de Nara), s'avança et dit : "Il appartient à Sukuna-Hikona, un des quinze cents fils de Kanmi-Musubi (le 6ème Takami-Musubi), mais c'est un bon à rien qui a glissé entre les doigts de son enseignement".

Onamuchi fut ému par ces explications. Il accueillit chaleureusement Sukuna-Hikona et il l'invita à l'accompagner dans sa tournée du pays. Ensemble, ils travaillèrent à développer les rizières et à procurer de la nourriture aux habitants. Aux femmes, ils enseignèrent les techniques de la sériciculture et de la couture et ils s'acharnèrent à la mise en valeur de la terre. Ailleurs, ils cultivèrent des plantes médicinales pour guérir les maladies et allèrent même jusqu'à se consacrer au traitement des oiseaux et des animaux malades. Dès qu'ils apprenaient l'arrivée de sauterelles, ils se précipitaient à cheval sur les lieux, aussi éloignés soient-ils. Et ils chassaient aussitôt les insectes au moyen des feuilles de mûriers agitées pour ventiler l'odeur d'une plante médicinale, appelée oshikusa. De cette façon, ils protégeaient les récoltes et les vivres de leur peuple.

Kushihiko, le premier fils d'Onamuchi, devint un homme d'une nature noble et superbe au point qu'il fut nommé au poste de Kotoshironushi, l'adjoint de la position d'Omononushi occupée par son père, et en cette qualité, il fut engagé à la cour du souverain. Onamuchi lui-même repartit vers son pays natal d'Izumo, afin de prodiguer ses conseils dans le domaine de l'agriculture et de s'occuper de l'administration locale. Les pignons élevés du majestueux Palais Kushi-Inada se dressaient de façon imposante au-dessus des sujets qui venaient y rendre hommage. Après quelques années déjà, les bons conseils et la coopération de la population résultèrent en moissons abondantes. Il y avait assez de riz pour remplir 123 682 sacs de paille apportés comme offrandes et les entrepôts débordaient des surplus de riz non encore décortiqué.

Onamushi transporta ces sacs de grains de riz non décortiqué dans les différentes régions du pays et il les distribua comme aide à ceux qui souffraient de la faim, tout en fournissant ses conseils pour cultiver la plante. Il se servit d'un marteau pour fabriquer des écluses, des remblais et des canalisations d'eau, aidant ainsi le peuple à mettre les terres en valeur par l'agriculture.

De cette façon, le "marteau" (jeu de mots sur "tsuchi", signifiant aussi "terre" et "cultiver") d'Onamuchi en est venu à symboliser la production de riz comme un "trésor noble" (ontakara = "provenant de la noble rizière").

Il existe un dicton selon lequel "chaque flux a son reflux". L'administration du pays par Onamuchi et Sukuna-Hikona semblait à première vue promise à un parfait avenir. Qui pouvait prévoir les sombres nuages d'infortune qui allaient bientôt être leur lot ?

La reddition d'Izumo

.Finalement, du fait de la richesse excessive dont profitait maintenant Izumo et en raison de sa nature affable et de sa grande popularité, Ohonamuchi fut accusé sans fondement d'être la source de tous les maux par la cour du souverain qui le bannit vers les régions septentrionales de Tsugaru.

Entre-temps, Sukuna-Hikona prit ses distances par rapport à Onamuchi et il se consacra à l'étude de la cithare Kadagaki dans le Pays d'Awa (préfecture de Shiga). Il abandonna sa vie antérieure de consécration à la nation et il se mit à errer sans but dans les provinces, portant sa tristesse dans son cœur.

Tandis qu'il dérivait de place en place, il récitait sans cesse une chanson en s'accompagnant sur sa cithare Kadagaki. Elle parlait du Festival Hina, remontant aux temps du 4ème souverain céleste quand le cœur des hommes était pur et que brillait partout leur bonté. Les gens avaient oublié l'histoire du Festival Hina, mais il la diffusa à nouveau dans tout le pays. Puis, étant arrivé à un âge avancé, il arriva sur le rivage du Lac Kada dans le Pays de Waka, d’où il monta vers le Pays de Hina chez Ubichini et Subichini au sourire éternel.

Aujourd'hui encore, les gens se rappellent la personnalité simple et frêle de Sukuna-Hikona comme la divinité Awashima (c'est-à-dire la divinité du Pays d'Awa) au Sanctuaire Awashima à cet endroit (Kada dans la préfecture de Wakayama).

Chaque année, le troisième jour du troisième mois, des poupées hina apportées de tout le pays sont offertes au Sanctuaire. Ensuite, la cérémonie rituelle du hina-nagashi (libération des poupées hina) se déroule en grande pompe à la mémoire de Sukuna-Hikona.

(Extrait du 9ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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