Hotsuma-Tsutae Le Livre de l'Homme (Chapitre 37) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Tajimamori et les Oranges Tachibana

Pendant la 39ème année du règne de Mimaki-Irihiko (l’Empereur Sujin), un étranger du nom de Hiboko arriva par bateau au Pays de Harima. Après avoir jeté l’ancre à cet endroit, il se dirigea vers le village de Shishiawa à Awaji.

Le souverain dépêcha promptement à Harima ses ministres Ohotomo-Nushi et Nagao-Ichi pour demander à Hiboko les raisons de sa visite. Il répondit : « Je suis le fils du Roi de Shilla et je réponds au nom d’Ame-Hiboko. Dans mon pays, j’ai entendu dire qu’un dirigeant très avisé et vertueux régnait sur le territoire oriental situé au-delà de la mer. J’ai alors confié mon patrimoine à mon frère cadet Chiko et je suis venu servir ce dirigeant éminent. »

Apprenant ceci, Mimaki publia le décret suivant à l’intention d’Ame-Hiboko : « Nous t’accordons les deux villages d’Itesa dans le Pays de Harima et Shishiawa à Awaji. Tu peux y vivre comme bon te semble. »

A ceci, Hiboko répondit : « Si vous daignez me laisser vivre à l’endroit de mon choix, je voudrais faire le tour de ce magnifique pays avant de décider du lieu de ma future résidence. » Une proposition qu’accepta le souverain.

Hiboko remonta alors la rivière Uji et arriva bientôt au village d’Ana dans le Pays d’Awaumi (Ômi) où il séjourna un certain temps. Il y établit un cantonnement pour ses potiers dans la vallée de Hazama (Mont Kagamiyama). Ame-Hiboko se rendit alors dans le Pays de Wakasa, puis il fit route vers l’ouest en direction de Tajima. C’est là qu’il épousa Matawo, fille de Futomimi d’Izushima, un noble de la région. Elle lui donna un fils appelé Tajima Morosuke qui, à son tour, engendra Hinaragi, lui-même père de Kiyohiko dont le fils fut finalement appelé Tajimamori.

Bien des années plus tard, pendant la 88ème année du règne d’Ikume-Irihiko, le souverain publia un décret le 10ème jour du 7ème mois. « Nous avons appris qu’il y a bien longtemps, les trésors offerts à la cour par le Prince Hiboko ont été entreposés à Tajima. Nous souhaitons maintenant voir ces trésors. Envoyez donc un messager à Kiyohiko, l’arrière-petit-fils de Hiboko. »

Kiyohiko vint en personne à la cour pour présenter les trésors. Il s’agissait d’une gemme Haboso, d’une gemme Ashitaka, d’une gemme Ukaga, d’une courte épée Izushi, d’une lance Izushi, d’une hallebarde Izushi, d’un miroir solaire, d’un Kuma-Himoroge (dont la nature exacte est incertaine) et d’une épée Ide-asa.

Mais des huit trésors originaux, Kiyohiko répugnait surtout à se défaire de la courte épée Izushi, parce qu’elle constituait pour lui un lien particulièrement fort avec ses ancêtres. Aussi Kiyohiko l’avait-il cachée dans la manche de son vêtement dans l’intention de la conserver.

N’ayant pas conscience de ce fait, le souverain fut ravi de voir ces trésors exotiques et il offrit à son hôte une coupe de “miki” (saké divin). Mais lorsque Kiyohiko s’avança pour recevoir la liqueur, la courte épée glissa de sa manche et tomba sur le plancher. Découvrant l’arme en question, le souverain demanda ce que c’était. Réalisant qu’il ne pouvait dissimuler plus longtemps son recel, Kiyohiko répondit : « C’est l’un des trésors que je devais vous offrir. » A quoi le souverain déclara : « Ce trésor est-il si spécial que tu ne peux supporter de t’en séparer ? »

A compter d’alors, les huit trésors furent tous entreposés dans la salle des trésors de la cour. Mais lorsque celle-ci fut ouverte un peu plus tard, la courte épée avait à nouveau disparu. Aussitôt le souverain convoqua Kiyohiko et lui demanda : « L’épée disparue serait-elle par hasard chez toi ? » A ceci Kiyohiko répondit : « A la fin de l’année dernière, la courte épée est revenue d’elle-même de façon étrange dans ma maison. Mais le lendemain matin, elle avait à nouveau disparu. »

Apprenant ceci, le souverain ajusta son vêtement et, acceptant cette explication, il décida de ne plus jamais aborder la question.

En fait, la courte épée était parvenue à l’île d’Awajishima où elle est révérée comme divinité par la population locale et un sanctuaire a été construit en son honneur.

Le 1er jour du 2ème mois de la 90ème année, le souverain Ikume-Irihiko publia le décret suivant à l’intention de Tajimamori : « Tu iras au Pays de Tokoyo pour chercher des oranges ‘tachibana’ ,car je crois que l’oranger a la même fleur d’administration divine que celle qui a été plantée par la divinité Kunitokotachi devant son Palais Tokoyo à partir duquel il a développé le pays. »

Le 1er jour du 7ème mois de la 99ème année, Ikume-Irihiko mourut à l’âge de 137 ans. Les princes souverains entamèrent une période de deuil de 48 jours et, le dernier soir, ils ordonnèrent la construction d’un mausolée en terre cuite. Ils enlevèrent ensuite leurs vêtements de deuil et les placèrent dans la bâtisse.

Le 10ème jour du 12ème mois, une grande cérémonie mortuaire fut organisée pendant la nuit au lieu de sépulture à Sugawara-Fushimi. La lumière d’innombrables torches faites de pin éclairait les rangées de figurines en terre cuite, disposées autour du mausolée. Elles exprimaient les sentiments de tristesse de la population et semblaient verser des larmes de chagrin.

Sous le ciel étoilé, toute l’assemblée découvrit la colonne de lumière, libérée par l’âme du souverain, tandis qu’elle entreprenait son périple vers le palais céleste Sakokushiro Uji sous la voûte transparente des cieux. Persuadés que leur souverain bien-aimé reviendrait, ils restèrent à l’attendre jusqu’aux lueurs de l’aurore.

Au troisième mois du printemps suivant, Tajimamori revint finalement de son voyage à Tokoyo. Il avait surmonté de nombreux obstacles pour remplir sa promesse au souverain : rapporter vingt-quatre paniers d’oranges ainsi que quatre orangers et quatre greffons que ses serviteurs portaient pour lui.

Mais avant son retour, le souverain était décédé. Pour Tajimamori, ni son retour précipité vers la capitale dans l’espoir et la conviction qu’il pourrait constater la joie sur le visage de son maître, ni les nuits obscures au cours desquelles il avait continué à revenir hâtivement, soutenu par le désir d’entendre des mots de chaleureureux remerciements de la part de son maître, ni même tous les soins minutieux qu’il avait pris pour préserver la fraîcheur des oranges en dépit de la pluie et du soleil... aucune de ces épreuves ne lui avait coûté, car elles étaient toutes endurées par dévouement résolu pour son souverain.

Tajimamori divisa son trésor en deux parties. Il en offrit une au Prince Héritier et il plaça l’autre sur la tombe du souverain défunt. Ce faisant, il déclara à travers ses larmes : « Sur ordre de mon Seigneur, je suis parti vers le lointain Pays de Tokoyo à la recherche des oranges tachibana. Ce pays est incomparable et réellement enchanteur. Des créatures surnaturelles y vivent cachées. Sa langue et ses coutumes sont totalement différentes des nôtres et il m’a fallu dix années pour me familiariser à ses habitudes. Mais protégé par l’esprit merveilleux de mon seigneur, je ne me suis pas laissé décourager par les épreuves et je suis parvenu finalement à revenir au pays. Mais voilà que je découvre que mon Seigneur nous a quittés, que je ne pourrai plus entendre sa voix ni le voir en personne. Hélas ! Comment pourrais-je encore vivre dans ce monde d’où a disparu mon Seigneur ? » Ce disant, il se donna la mort pour aller retrouver son maître.

Tous les ministres présents versèrent des larmes devant cet acte de loyauté résolue de Tajimamori. Ils plantèrent les quatre orangers devant le palais et les quatre greffons sur le tertre funéraire à Sugawara, en hommage au souverain et à Tajimamori, les deux disparus.

A vrai dire, Tajimamori avait laissé un message d’adieu que le Prince Héritier Woshirowake (ou Tarihiko) consentit à lire. En voici le contenu : « La Princesse Hana-Tachibana, fille du Seigneur de Kagu, est l’épouse de Tajimamori. Envoyez Oshiyama là-bas pour la ramener à la capitale en compagnie de son père Motohiko. »

Woshirowake fut heureux de se conformer à ce souhait d’adieu. A leur arrivée, il remit à Motohiko les vêtements rituels et il lui confia la charge du deuil de Tajimamori. Comme Hana-Tachibana était enceinte à l’époque, le nouveau souverain effectua les arrangements pour qu’elle puisse rester à la cour.

A la fin mai, la Princesse donna le jour à une fillette. Puis Woshirowake publia le décret suivant : « Cette fillette est belle, parce qu’elle garde l’âme de ses aïeux. Elle s’appellera Princesse Oto-Tachibana. »

Hana-Tachibana fut alors mariée à Oshiyama, en raison de sa ressemblance physique avec Tajimamori. La Princesse et sa fille vécurent remplies d’une profonde satisfaction.

Les liens solides ainsi forgés eurent une grande signification dans le succès de l’expédition orientale, entreprise plus tard par le Prince Yamatotake.

Ce qui suit est un extrait de “Rekidai Tennô Hyakuwa” (Cent Récits des Empereurs Successifs), édité par Mutsuro Hayashi.

« Le tombeau de Tajimamori se trouve, dit-on, sur un îlot dans les douves entourant un tumulus en forme de trou de serrure, attribué à l’Empereur Suinin à Amatsuji-chô dans la ville de Nara. Les orangers tachibana qu’il a rapportés ont été plantés et se sont propagés dans le village de Anashi, le site du Palais Makimuku Tamaki de Suinin. A partir de cette époque, des oranges ‘mikan’ de cette région ont été offertes aux empereurs successifs. Et de nos jours encore, entre la fin décembre et le début du printemps, on peut admirer, de part et d’autre des routes sur les collines, des champs de mikan parés de teintes orangées et enveloppés d’une odeur parfumée. »

(Extrait du 37ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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