Hotsuma-Tsutae Le Livre de la Terre (Chapitre 25) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Le Prince Hohodemi et la Princesse Toyotama

Ninikine, petit-fils d’Amateru, avait établi sa cour à Nihari près du Mont Tsukuba et en avait fait sa première capitale.

Il déplaça ensuite sa cour vers le Palais Hara-Asama qu’il avait construit sur les flancs du Mont Harami (actuellement le Mont Fuji). De là, il gouverna dans la paix le Pays de Hotsuma (à présent les régions de Tokai et Kanto), aidé par sa compagne Konohanasakuya. Leur amour s’était concrétisé dans leurs enfants, des triplés, qui étaient devenus de magnifiques jeunes gens. L’aîné, Honoakari Mumehito, résida au Palais Haramiya, tandis que le deuxième fils, Honosusumi Sakuragi, gouverna depuis l’ancien palais de son père à Nihari. Quant à Hododemi Utsukine, le cadet, il administra la population depuis le Palais Utsunomiya sur les contreforts du Mont Futa-are.

Un jour, après de longues délibérations, leur père Ninikine décida de déplacer à nouveau sa capitale, cette fois vers Awaumi (Lac Biwa). La construction du nouveau Palais Mizuho fut confiée à Ohoshima. En déplaçant sa capitale de la région du Kanto, où le défichement des terres et leur transformation en rizières étaient déjà achevés, vers Ashihara-Nakakuni (le Pays Central de la Plaine des Roseaux), il voulait préparer de nouveaux terrains pour la culture du riz dans les contrées de l’ouest. Par là, il souhaitait fournir davantage de nourriture à la population et édifier un pays prospère et paisible.

Lorsque la construction du Palais Mizuho fut achevée, Ninikine accomplit d’abord les rites divinatoires selon le Futomani, afin de fixer un jour de bon augure pour le déménagement. Ensuite, il partit présenter des offrandes au Mont Hakone, la dernière demeure de son père Oshihomimi. De là, il alla présenter ses respects à son grand-père Amateru et sa mère Takuhatachichi à Ise, avant de pénétrer finalement dans sa nouvelle capitale.
Mumehito, le fils aîné, resta à Haramiya pour y gouverner le pays, Ame-no-Koyane devint son Ministre du Miroir (Ministre de la Gauche, ou ministre principal), tandis que Mishima Mizokuni, le fils de Ohoyamazumi, devint le “Mononushi adjoint” (second ministre). Tous deux l’aidèrent dans l’administration de la région.

Le second fils Sakuragi reconstruisit le Palais Ukawa (actuellement le Sanctuaire Shirahige) sur le site du palais temporaire d’Ukawa, sur la rive occidentale du Lac Biwa. C’est là que son père Ninikine avait été invité autrefois à un banquet par Sarutahiko pendant sa tournée prolongée du pays.

Utsukine, le fils cadet, construisit le nouveau Palais de Shinomiya à Otsu (préfecture de Shiga). A vrai dire, il avait espéré se voir attribuer le Palais d’Ukawa, car son nom avait été inventé en souvenir du séjour de son père à cet endroit, lorsque Ninikine s’était paré de fleurs de neige (deutzia = u-no-hana). Mais le souhait d’Utsukine ne se réalisa pas.

Son passe-temps préféré était d’aller à la chasse dans les montagnes, ce qui lui valut le nom populaire de “Yamasachihiko” (le Prince de la Générosité des Montagnes). En revanche, son jeune frère Sakuragi était toujours occupé à pêcher sur le lac et, pour cela, il fut appelé ‘Umisachihiko’ (le Prince de la Générosité de la Mer).

A peine Ninikine se fut-il installé dans le Palais Mizuho qu’il entreprit un nouveau périple des régions Yama-omote (San-yo) et Yama-kage (San-in). Partout où il se rendait, il prodiguait ses conseils sur l’agriculture, constuisait des barrages, contrôlait l’eau au moyen de digues et transformait de nouvelles terres en vue de la culture du riz. Un jour, il arriva à un endroit du Pays Central où il remarqua de nombreuses collines dénudées devant lui. Il fit venir le chef du village et lui demanda comment s’appelait l’endroit.

« Cet région est appelée Aki » répondit le dirigeant. Ninikine s’enquit à nouveau : « Pourquoi n’y a-t-il par d’arbres ici, alors que le terme “Aki” suggère qu’il doit y en avoir ? »
« C’est une très bonne question, répondit le vieil homme. Mais il y a une raison profonde à cet état de choses. » Et lentement, il s’expliqua :

« Il y a bien longtemps, ces montagnes étaient couvertes d’arbres, l’eau était abondante et les champs de riz procuraient de riches moissons. Mais un jour, un serpent à huit têtes vint s’installer ici. Il volait les filles des seigneurs locaux et les dévorait. C’est pourquoi les habitants ont mis le feu aux forêts sur les montagnes et le serpent s’est enfuin vers Hikawa à Izumo, où il fut massacré plus tard par le Seigneur Sosanowo, comme vous le savez. C’est pourquoi ces montagnes sont nues comme la face d’un navet. Ici, les bûcherons se plaignent de n’avoir rien à faire ! »

En écoutant ce récit, Ninikine sourit et dit : « Ne vous en faites pas. Je vais remédier à cette situation. » Il donna alors des instructions à Akatsuchi, un homme de sa suite, pour qu’il sème des graines de cèdres et de cyprès, puis, qu’il transplante les jeunes pousses sur les montagnes. Dix ans plus tard, la cime des montagnes était couverte de verdure et les rizières disposaient d’un alimentation constante en eau. Les bûcherons retrouvèrent finalement du travail et le pays connut à nouveau la prospérité.

Ensuite, Ninikine se tourna vers la région Yama-kage (San-in) sur le côté nord des montagnes du centre. Là aussi, comme toujours, il construisit des barrages où ils étaient nécessaires, irrigua les plaines en amont et transforma ainsi de nouvelles terres pour la culture du riz. Ayant assisté avec la population locale aux joyeux festivals de la moisson, il repartit vers son Palais Mizuho, où il régna pendant de nombreuses années paisibles.

Tout à coup, un groupe de messagers rapides arriva, porteur de nouvelles urgentes au sujet de Tsukushi (Kyushu). « Les habitants de Tsukushi se soulèvent et ils ne sont plus gouvernés. Nous vous supplions d’y envoyer un de vos fils » implorèrent-ils.

Apprenant cette nouvelle, Ninikine nomma immédiatement son troisième fils, Hohodemi (Utsukine), comme Seigneur de Tsukushi et il se prépara à l’envoyer vers la province en proie à des troubles. Ayant reçu les ordres, Utsukine se hâta vers le Palais Haramiya pour solliciter de son frère aîné Honoakari (Mumehito) l’autorisation de partir. Ils s’en allèrent alors ensemble jusqu’au Palais Mizuho où ils présentèrent leurs respects à leur père. Rejoints par le troisième frère Honosusumi (Sakuragi), ils entendirent les détails sur la situation de la bouche de Ninikine.

« Les troubles de la région de Tsukushi doivent provenir d’un manque de nourriture, commença-t-il. Quel que soit celui qui s’y rendra, les problèmes en seront pas résolus facilement et il faudra y consacrer des mois voire des années. C’ est pourquoi cette fois-ci, j’irai moi-même examiner l’état du pays et je donnerai mes conseils pour la préparation de nouvelles rizières. De cette façon, j’augmenterai la production de vivres pour la population et je ramènerai la stabilité dans le pays. » Les trois fils pouvaient à peine cacher leur surprise face à la décision de leur père, mais ils se turent et il poursuivit en ces termes.

« Je nomme Mumehito comme mon successeur ici, dit-il. Koyane et Mononushi resteront ici au Palais Mizuho pour aider à l’administration du gouvernement. Sakuragi et Utsukine se rendront à Kita-no-Tsu pour gouverner le Pays de Ne. J’ai entendu que vous vous étiez disputés, mais je vous demande de faire la paix », leur enjoignit-il avant son départ.

Ninikine partit de Nishinomiya sur un énorme bateau, accompagné d’une foule de serviteurs, et il arriva bientôt au palais provisoire d’Udo à Umashi (sud du Kyushu). Dès son arrivée, Ninikine entama un périple des 32 contrées de Tsukushi. Il parcourut tout le pays et examina les conditions de vie des habitants. Au besoin, ici aussi il construisit des barrages dans les régions supérieures des rivières, intalla de nouveaux canaux et des fossés de manière à assurer l’irrigation de nouveaux terrains consacrés à la culture du riz. En accroissant les provisions alimentaires de la population, il enrichit leur existence. Enfin, après avoir défini les lois, il stabilisa l’administration du territoire.

Quand Ninikine eut fini de prodiguer ses conseils dans toutes les régions de Tsukushi, Hotakami (petit-fils de Sumiyoshi) et Shiga, le gouverneur local, l’invitèrent au Palais de Tsukushi construit depuis peu, où ils le prièrent de se reposer. Hadezumi, le gouverneur de Sowo, supplia Ninikine de rester au Palais de Kagoshima. Mais le souverain refusa cette offre et il consacra plutôt tout son temps à sa mission de développement de la province de Tsukushi.

Après trois années, on avait pratiquement fini de tracer les cartes des 32 contrées et Ninikine put repartir au Palais Mizuho, non sans avoir laissé ses instructions sur le développement en cours aux gouverneurs locaux. A son retour à la capitale, son fils aîné Mumehito s’en repartit vers son propre Palais Haramiya dans le Pays de Hotsuma.

Entre-temps, les frères cadets Sakuragi (Honosusumi) et Utsukine (Hohodemi) continuèrent d’administrer le Pays de Ne depuis le Palais de Kita-no-Tsu (actuellement Tsuruga). Un jour, Sakuragi (le Prince de la Générosité de la Mer) fit une proposition à son frère Utsukine (le Prince de la Générosité des Montagnes).

« Pourquoi n’échangerions-nous pas nos passe-temps ? » suggéra-t-il. Utsukine trouva l’idée intéressante et accepta. Il partit donc pêcher avec la ligne et le hameçon de Sakuragi, tandis que celui-ci alla s’essayer à la chasse dans les montagnes, armé de l’arc et des flèches de son frère. Mais ni l’un ni l’autre ne parvint à attraper quelque chose et, déçus, ils revinrent au palais. Sakuragi remis l’arc et les flèches à Utsukine et il réclama sa ligne et son hameçon en échange. Son frère dut alors lui avouer qu’un poisson avait emporté le hameçon. Il en offrit un nouveau à Sakuragi, mais celui-ci ne voulut rien entendre. « Je veux uniquement le hameçon original que je t’ai prêté » dit-il. Utsukine en fut fortement contrarié. Il brisa son épée, presque aussi précieuse que sa vie, et en fabriqua assez de hameçons pour remplir un panier. Mais ceci ne diminua pas la colère de Sakuragi. « Je n’ai que faire de tous ces hameçons ! Rends-moi le hameçon original ! » réclama-t-il d’un air menaçant. Utsukine s’en alla marcher sur le rivage à Kita-no-Tsu, réfléchissant au moyen de résoudre la situation.

Tout à coup, dans un bosquet de pins le long du rivage, il entendit le son d’un oiseau, battant des ailes comme pour se libérer d’un piège. En s’approchant, il découvrit une oie sauvage qui se débattait pour se sauver. Comprenant que le volatil était dans la même situation que lui, il le libéra sans tarder. Un noble âgé du nom de Shihozutsu avait suivi toute la scène à distance. Il reconnut que le jeune homme était le Prince Hohodemi, il lui offrit de partager son repas et s’informa de la raison de son trouble. Utsukine lui raconta toute l’histoire. Sur quoi, Shihozutsu lui déclara, comme si, d’un coup, il voulait libérer Utsukine de ses ennuis : « Tu n’ as rien à craindre. Laisse-moi agir. » Il prit un filet de lagune à fines mailles et le plaça dans un petit bateau ‘kamo’. Il composa un poème et l’écrivit sur une tablette de bois qu’il attacha au filet. Il aida ensuite Utsukine à prendre place dans l’embarcation, leva la voile et largua les amarres. Bientôt, le bateau navigua rapidement vers l’ouest et ils arrivèrent sur la plage d’Udo à Umashi (sud du Kyushu).

Abandonnant le bateau et le filet, Utsukine se hâta alors vers l’ouest. Dans le lointain, il aperçut le Palais Mizugaki de Hadezumi, le gouverneur de Sowo, dont les tourelles ornées de pierreries brillaient dans le soleil couchant et émettaient leur lumière dans toutes les directions.

Quand Utsukine arriva au portail du palais, le soleil était déjà couché et les alentours étaient plongés dans les ténèbres. Ne souhaitant pas réveiller son hôte à une heure si tardive, Utsukine rassembla des feuilles de ‘haeha’ (feuilles d’alisier blanc) et de ‘yuzuriha’ (feuilles de poinsettia) sur les arbres près des murs du palais et à côté d’un puits. Il disposa les feuilles et s’y assit sans dormir, attendant que le soleil se lève.

Quand les premières lueurs du jour commencèrent à poindre, les portes s’ouvrirent et un groupe de jeunes filles sortit du palais. Elles s’approchèrent du puits pour y puiser l’eau de la journée. Une des jeunes femmes alla remplir son urne au moyen du seau du puits et c’est alors qu’elle remarqua le reflet du visage d’un jeune homme noble à la surface de l’eau. Effarouchée, elle se précipita au palais et signala à son père ce qu’elle venait de voir.

Hadezumi alla voir en personne. Par l’aspect du jeune homme et les vêtements qu’il portait, son appartenance à la famille du souverain était évidente. Hadezumi disposa immédiatement des nattes de roseau en huit couches et il invita le prince à pénétrer dans le palais, où il lui demanda la raison de sa visite inattendue.

Utsukine retraça toute l’histoire du début à la fin. Alors que Hadezumi réfléchissait à ce problème complexe, un agent d’Udo arriva avec précipitation. Dans ses mains, il transportait le filet qu’Utsukine avait laissé sur le rivage à Udo.

« J’ai trouvé ce filet dans un bateau ‘kamo’ abandonné sur la plage » expliqua-t-il. C’est alors que Hadezumi vit lui-même le filet à mailles étroites et le poème ‘waka’ écrit sur la tablette de bois. Il lut.
Shihotsutsu ga me nashi kata-ami
Haruberaya michihi no tama wa
Hade no kankaze
«Shihotsutsu étend un filet de lagune à fines mailles ; les bijoux des marées hautes et basses sont le vent céleste de Hade (de Hadezumi). »

Après avoir lu le poème, Hadezumi rassembla toutes les plongeuses et il leur demanda si elles savaient comment retrouver l’hameçon. L’une d’entre elles, appelée Hikime, dit : « Nous devrions employer un filet à larges mailles. » Une autre, du nom de Kuchime, suggéra que le meilleur moyen serait d’utiliser une canne à pêche. Une seule, appelée Akame, donna une réponse pertinente. « Nous devons poser un filet de lagune à fines mailles » dit-elle. Aussi Hadezumi ordonna-t-il aux autres pêcheuses d’aider Akame à poser le filet à mailles étroites.

Quand elles eurent tendu le filet dans toutes les directions, une grosse daurade apparut devant Akame, tenant une petite courbine blanche dans la gueule, et dans la bouche de ce petit poisson se trouvait un hameçon. Akame le retira de la lippe de l’animal et elle plaça la daurade dans un bassin à poissons. Aussitôt, Akame se précipita chez Hadezumi pour lui présenter le hameçon.

Mais, chose surprenante, Hadezumi avait vu toute cette scène en rêve la nuit précédente. Une grosse daurade lui était apparue et lui avait dit : « Je vais te remettre la courbine blanche, ce petit poisson insolent. Je vous en prie, servez ma chair à votre table seigneuriale. »

Entendant ces paroles, il loua le courage de la daurade et dit : « La daurade sera le roi de tous les poissons. Faisons-en la nourriture des dieux. Et donnons à la daurade un emblème : trois écailles de poisson en forme de montagne. » Après que l’emblème fut copié, la daurade fut relâchée dans la mer. Mais à partir de ce moment, la petite courbine blanche sans valeur fut éliminée de la nourriture offerte aux divinités. Quant à Akame, elle fut glorifiée du nom Yodohime, en souvenir de son action méritoire.

Utsukine fut ravi d’avoir enfin retrouvé le hameçon disparu. Comme il avait encore plusieurs affaires à régler dans la région de Tsukushi, il dépêcha Shiga, lui enjoignant de remettre en son nom le hameçon à son frère Sakuragi. Shiga partit sur un bateau ‘wani’ et se rendit à Nishinomiya, d’où il poursuivit sa route par terre jusqu’au Palais Shinomiya. Là, il demanda au noble Yamakuhi de se joindre à lui. Lui ayant expliqué l’histoire de long en large, ils partirent ensemble pour le Palais d’Ukawa.

A leur arrivée, Yamakuhi et son compagnon venus de loin furent gracieusement salués par Sakuragi. « Quoi ? dit-il de bonne humeur. M’apportez-vous de bonnes nouvelles ? » Yamakuhi regarda Shiga du coin de l’œil et répondit : « A vrai dire, ce que nous apportons, c’est le hameçon que votre frère Hohodemi vous avait emprunté et qu’il avait perdu dans l’eau. Il a finalement été retrouvé et le Seigneur Shiga a été chargé de vous le rapporter.»

Shiga prit alors respectueusement le hameçon des deux mains et il le présenta à Sakuragi qui l’examina d’un air indifférent et déclara : « Oui en effet, c’est bien mon hameçon. » Là dessus, il se prépara à partir. Mais sans réfléchir, Shiga le retint par la manche et dit : « Attendez ! » C’est alors que Sakuragi, perdant toute contenance, s’exclama avec rage : « Qu’en sais-tu ? Quel droit as-tu donc de me réprimander ? Mon frère aurait dû me rapporter le hameçon en personne et me présenter ses excuses ! »

« Je ne le pense pas, répondit Shiga. Quand vous avez prêté votre hameçon à votre frère, la canne à pêche était déjà vieille et usée. Si vous vous y connaissiez en pêche, vous auriez dû la remplacer par une neuve. Mais vous ne l’avez pas fait et je dirais plutôt que c’est à vous d’aller ramper et vous excuser devant votre frère. »

Sakuragi avait alors perdu tout contrôle. Il sauta dans son bateau et rama sur le lac dont les vagues venaient lécher le devant de son palais.

Avant le départ de Shiga pour Ukawa, Hadezumi lui avait donné deux joyaux : le “bijou de la marée basse” et le “bijou de la marée haute”. Shiga retira alors de son vêtement le premier de ces joyaux et il le jeta dans le lac. Aussitôt, l’eau fut drainée du lac, dont le lit fut à sec. Shigano se mit à la poursuite de Sakuragi et il grimpa dans son embarcation. Sakuragi sauta hors de la barque et tenta de s’enfuir. Yamakuhi lui donna aussi la chasse, attrapa Sakuragi et le retint par la main. Shiga lança alors le “bijou de la marée haute” dans le lac et l’eau y revint avec une telle force que Sakuragi fut sur le point de se noyer. Désespéré, il cria « Au secours ! Je vous en prie ! Pour toujours, je servirai désormais mon frère comme son vassal ! » Comprenant que les excuses de Sakuragi étaient sincères, Shiga et Yamakuhi partirent le sauver en bateau et ils le ramenèrent à Ukawa. Tous se promirent de faire la paix et ils repartirent vers leur pays respectif.

Par ailleurs, Hadezumi amena un jour ses deux fils et ses deux filles devant Hohodemi et lui dit : « Je suis le petit-fils de Sumiyoshi, j’appartiens à la famille Kamo et mon nom est Hadezumi. Mon fils aîné s’appelle Toyozumi, Toyotama est ma première fille, le nom de mon second fils est Takezumi et ma fille cadette répond au nom de Ototama. » Ce disant, il les présenta officiellement au prince.

Hohodemi réunit alors tous les gouverneurs locaux des 32 districts de Tsukushi et il s’adressa à eux en ces termes : « J’ai l’intention de prendre femme. L’un d’entre vous a-t-il une opinion à exprimer à ce sujet ? ». Hotakami répondit : « Votre père Ninikine vous a déjà nommé comme Seigneur de Tsukushi, ce qui fait de vous notre souverain. Faites comme bon vous semble. Autrefois, votre père s’est fiancé à votre mère Konohanasakuya pendant une seule nuit au cours d’une tournée du pays et plus tard, il l’a prise officiellement comme compagne. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de nous avoir fait part à l’avance de vos intentions. » Ce disant, Hotakami jeta un regard à la ronde pour s’assurer de l’assentiment des nobles rassemblés. Hohodemi nomma alors Toyotama, la première fille de Hadezumi, comme sa compagne principale et il choisit deux princesses pour chacun des trois rangs inférieurs, appelés suke, uchime et shimome.

On effectua tous les préparatifs nécessaires au mariage qui devait avoir lieu au Palais de Kagoshima. La cérémonie proprement dite se déroula en grande pompe sous des décorations de fleurs d’or et d’argent. Les 32 gouverneurs de Tsukushi prirent part à l’interprétation des chants de célébration et bientôt c’est tout le pays qui résonnait des vivats de la foule : « Yorotoshi ! Yorotoshi ! » (‘Longue vie’).

Le matin du troisième jour après le mariage, Toyozumi, le frère aîné de Toyotama, réunit les six princesses et il décora leur tête d’une coiffure de bambou ornée de bijoux. Dans leurs mains, il plaça une urne d’eau, elle aussi agrémentée de pierreries. Dans cet état, elles attendirent avec impatience que les jeunes mariés sortent de leur chambre nuptiale. Quand finalement la porte s’ouvrit, elles déversèrent leur urne sur la tête du couple en chantant à l’unisson :
Momohinagi magubai nochi no
Mika no hi no kawamizu abite
Uchibini no kami kara shimo he
Hanamuko ni mizu
Mairasefu mairasefu

(“Momohinagi se baigne dans l’eau de la rivière, le troisième jour après l’union. Comme Ubichini, de la tête aux pieds, arrosons, arrosons le jeune marié avec de l’eau !”)
Après le mariage, Hohodemi vécut avec sa compagne au Palais de Kagoshima. De là, il parcourut les 32 districts de Tsukushi, s’efforçant partout de défricher des terrains pour en faire de nouvelles rizières et améliorer la terre. Grâce à ces efforts, les récoltes augmentèrent, le pays s’enrichit et il se développa dans une paix continue.

Lorsque, certaines années, les précipitations étaient insuffisantes et la chaleur du soleil excessive, la sécheresse fut évitée car les berges des rivières avaient été damées et de nombreux réservoirs creusés. Grâce à ces travaux, les plants de riz pouvaient être normalement repiqués. Transporté de joie, Usatsuhiko, gouverneur d’Usa, ordonna la tenue d’un festival du printemps le quinzième jour du cinquième mois, la période habituelle du repiquage, et il initia la coutume qui consiste à implorer Ukemochi (la divinité de la nourriture) pour bénéficier d’une abondante moisson. D’énormes gâteaux de riz “mochi” furent offerts aux divinités et, par allusion à Hohodemi qui avait attendu jusqu’à l’aube en dehors du palais de Hadezumi, ils posèrent des feuilles d’alisier blanc “haeha” sous les gâteaux de riz pour qu’ils ressemblent à de longs épis de riz et ils les décorèrent de feuilles de poinsetta “yuzuriha”. Les festivités opulentes concernaient aussi bien les nobles que le menu peuple et le nom de “Toyo-no-Kuni” (le “Pays de l’Abondance“) fut attribué pour cette raison à Tsukushi.

Ce festival devint rapidement populaire dans les 32 districts de Tsukushi et, plus tard, il fut transformé en rituel pour le premier jour de l’Année nouvelle. La coutume de placer des pins “kadomatsu” à l’embrasure de la porte d’entrée pour attendre l’arrivée des divinités et du bonheur, et la pose des gâteaux de riz sur des feuilles d’alisier blanc et de poinsettia se sont répandues dans le pays à partir de cette époque.

Même après son mariage avec Toyotama, Hohodemi continua de travailler inlassablement et de façon désintéressée pour le peuple de Tsukushi. Mais ni sa compagne principale ni aucune des six princesses ne pouvait concevoir un enfant. Cet état de choses troubla à ce point Hohodemi qu’il décida de s’éloigner des affaires et de repartir au palais temporaire à Udo. C’est là, en effet, que ses chances s’étaient améliorées de façon spectaculaire. Il n’emmena avec lui que sa compagne principale Toyotama.

Hadezumi, le père de Toyotama, les invita à le rejoindre au Palais de Kagoshima, mais ils déclinèrent son offre. Hadezumi envoya alors un message à Hohodemi à Udo. « Ne vous sentez-vous pas bien ? Il se peut que vous vous soyez trop dépensé. » A ceci Hohodemi répondit : « Bien que j ‘aie six princesses, je n’ai pas encore d’enfant. Je vais tout abandonner et rester ici avec Toyotama seule. Mais je ne pense qu’au bien du peuple de Tsukushi. »

(Extrait du 25ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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