Hotsuma-Tsutae Le Livre de la Terre (Chapitre 24) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Le voeu de la Princesse Konohanasakuya près du Cerisier

Ce récit relate des événements remontant à environ trois mille ans, une époque où Ninikiné (ou Ninigi), bien connu par les mythes anciens d'origine divine, gouvernait la nation depuis son Palais Nihari à Tsukuba.

Depuis longtemps, le pays vivait dans la paix. Mais la croissance de la population n'avait pas été accompagnée de progrès suffisants en agriculture, les manques d'eau avaient freiné la mise en valeur des rizières et les récoltes de riz laissaient à désirer.

C'est pourquoi Ninikiné eut l'idée de développer de nouvelles rizières. D'abord, il se rendit chez son grand-père Amatéru à Isé, lui proposant d'effectuer une grande tournée des provinces, qui lui permettrait d'associer l'essor de la riziculture à la recherche d'un lieu pour sa nouvelle capitale. Cependant, Amatéru ne se laissa pas convaincre facilement.

Nullement découragé, Ninikiné se construisit un palais temporaire à Isé, le temps d'attendre qu'Amatéru change d'avis. Car Ninikiné était trop motivé par la promotion du bien commun pour renoncer à son projet. Pendant son attente, il construisit un barrage dans la partie supérieure de la rivière Miyagawa à Yamadagahara (actuellement intégré à la ville d'Isé), il édifia des remblais et mit en place des conduites d'eau au point qu'il transforma en champs de riz toutes les terres en amont.

En cinq années à peine, la récolte de riz progressa et la population organisa de grands festivals à la moisson. On construisit des barrages en dix-huit autres endroits et, aux alentours, on entendait partout la voix joyeuse des gens qui s'adonnaient à la célébration des festivals.

Lorsqu'Amatéru eut écho de cette heureuse évolution, son coeur fut rempli de joie. Sans tarder, il fit venir Ninikiné et lui enjoignit d'accomplir sa tournée des huit provinces du pays.

Et c'est ainsi que, le premier jour du second mois, à l'occasion d'une célébration sous les fleurs de pruniers, une grande fête d'adieu fut organisée au Palais Hiyomi. C'est là que les questions du calendrier furent officiellement discutées.

Amatéru marqua le départ de son petit-fils en lui conférant les Trois Trésors Célestes de l'autorité divine. Le "Mihata Oritome no Onfumi", un décret gouvernemental rédigé par Amatéru lui-même, fut confié à Ninikiné en personne. Le "Mikagami" ou Miroir Céleste fut accordé à Amé-no-Koyané (célébré aujourd'hui comme la divinité du Sanctuaire Kasuga) qui devint le Ministre de Gauche. Le "Mitsurugi" ou Épée Céleste fut attribué à Komori, le 3e Omononushi, faisant de lui le Ministre de Droite. Par là, Ninikiné fut reconnu officiellement comme héritier du royaume d'Amatéru.

Ninikiné plaça les Trois Trésors Célestes dans un coffret, marqué d'une branche de "sakaki" droite et il le fit porter devant lui par ses serviteurs. En tête de son entourage marchait Tachikarao, suivi de Katsuté et Komori, leurs chevaux tenus par des palefreniers. Venait ensuite le coffret renfermant les Trois Trésors Célestes, suivi du Grand Palanquin portant Ninikiné en personne. Lui-même était suivi de Koyané sur son cheval, puis de quelque quatre-vingts gardes "mononobé", conduisant des palanquins portés par des chevaux.

Après avoir quitté Isé, ils se rendirent au Palais Asuka, le siège de Kushitama Honoakari, le frère aîné de Ninikiné, pour recevoir ses félicitations. Puis, ils continuèrent jusqu'au Palais Nishinomiya au Pays de Mitsu. À Kanzaki, ils creusèrent d'abord un grand barrage et aménagèrent de nouvelles rizières avant de se déplacer vers le nord jusqu'à Manai sur la Péninsule de Tango. A Manai, ils rendirent hommage et firent des offrandes au Sanctuaire Asahi, où était vénéré le Seigneur Toyoké (divinité du Sanctuaire Extérieur d'Isé).

Ensuite, ils pénétrèrent dans le Pays de Koyéné (actuellement la région de Hokuriku) et séjournèrent au Palais d'Achihazé. Ce dernier offrit à Ninikiné un palanquin "minékoshi" dans lequel il s'installa sans tarder afin d'aller examiner les pics Shirayama. Ninikiné était très intrigué par le palanquin, car il était conçu de telle sorte qu'il ne s'inclinait pas même en escaladant les montagnes.

"Qui a fabriqué ce palanquin?" s'enquit-il. Et la Princesse Kokori (vénérée maintenant comme la divinité Shirayama-himé) de répondre: "Il a été fabriqué par ma belle-soeur, Ukésutémé. Quand elle était à Akagata (en Chine), elle épousa le Roi Kurosonotsumi. Elle en eut un fils, appelé Kurosonotsuméru, qu'elle éleva dans ce dur pays montagneux jusqu'à ce qu'il accède au trône du Pays de Korobitsu. C'est donc elle qui inventa le minékoshi pour être à même de franchir les cimes des montagnes redoutables. Elle est d'ailleurs venue ici aujourd'hui pour avoir une audience avec vous."

Ninikiné fut ravi d'entendre ce récit. Pour marquer cette rencontre imprévue avec Ukésutémé, il décréta que la province s'appellerait désormais le Pays de Koshi et la montagne porterait le nom de Minékoshi. En échange du palanquin, il offrit à Ukésutémé un pêcher michimi qui, dit-on, porte des fruits une fois tous les trois mille ans. Elle l'emporta avec elle en souvenir, disant: "Précieuse est la pêche, si belle par sa fleur et son fruit."

Le quinzième jour du troisième mois, un banquet fut organisé dans le jardin d'Achihazé. Découvrant les fleurs de prunier et leur parfum délicat, Ninikiné sourit et dit: "Un mois et demi après avoir quitté une fête sous les fleurs de prunier, je savoure encore la floraison de ces arbres et j'ai le bonheur d'avoir un minékoshi. Il s'agit sûrement de dons des cieux!"

Ce disant, il plaça des fleurs de prunier sur sa tête et partit. Parcourant la partie ouest du Lac Biwa, il arriva à un endroit appelé Sasanami à Takashima, où les cerisiers commençaient déjà à éclore.

"Comme ces fleurs de cerisiers sont jolies", s'exclama-t-il. Plaçant encore quelques-unes de ces fleurs sur sa tête, il poursuivit vers Kumano et Yorogi, situés plus au sud, où il s'employa à créer de nouvelles rizières. Il dispensa ses conseils en agriculture à Ota (vénéré aujourd'hui comme la divinité du Sanctuaire Ota) et Minoshima (divinité du Sanctuaire Minoshima), les fils de Komori. Il leur enseigna comment construire des barrages et poser des canalisations d'eau, mettant ainsi en valeur les rizières de Kumano et de Yorogi.

L'entourage se remit en marche et se dirigea vers le sud. Mais en approchant de la rivière Wototama, ils découvrirent un homme énorme endormi et ronflant puissamment. Étalé de tout son long à un croisement, son corps barrait totalement le passage.

Mesurant bien dix-sept paumes de haut, il avait une tête hirsute et un visage d'un rouge menaçant. Son nez énorme devait bien avoir sept pouces de long et ses yeux perçants luisaient comme deux miroirs. Ninikiné se dit qu'il s'agissait peut-être du "dieu des pattes-d'oie". Il se tourna vers ses quelque quatre-vingts serviteurs et leur ordonna de demander à l'homme son identité. Mais, effrayé par l'aspect du géant, aucun d'entre eux n'osa s'approcher de lui.

Aux côtés de Ninikiné se trouvait une femme du nom d'Uzumé. Il lui demanda d'enjôler le cyclope par ses charmes physiques. Sans plus attendre, elle découvrit sa généreuse poitrine, détachant les cordons qui retenaient le haut sa robe et l'abaissa jusqu'au nombril. Riant à belles dents, elle s'approcha de l'homme.

Surpris par son rire, il se réveilla et aperçut Uzumé, à moitié dévêtue qui oscillait les hanches.

"Qui donc es-tu?" maugréa-t-il grossièrement. Et Uzumé de répondre : "Cette route se trouve sur le parcours de la procession du Petit-Fils Céleste. Tu nous barres le passage. C'est à toi de nous dire qui tu es."

"J'ai entendu que le petit-fils du Seigneur Amatéru devait passer par cette contrée, répondit le géant, et c'est pourquoi j'ai construit un palais provisoire à Ukawa et j'ai préparé un festin. Je suis venu ensuite à cette bifurcation pour l'attendre. Je m'appelle Sarutahiko et suis natif de Nagata à Takashima. Dites donc au Petit-Fils Céleste qui je suis. Je souhaite accompagner son cortège."

Après ces explications, Ninikiné accepta de bon coeur le festin préparé par Saruta qui se joignit à l'escorte de Ninikiné. Ukawa débordait de deutzia. Ninikiné choisit quelques-unes de ces fleurs qu'il plaça sur sa tête avant de poursuivre son voyage.

Suite à leur rencontre théâtrale, Sarutahiko et Uzumé n'eurent plus d'yeux que l'un pour l'autre, au point que Ninikiné prit des dispositions pour qu'ils se marient. Il leur décerna le titre de Seigneurs de Sarubé et ils contribuèrent aux débuts de la danse professionnelle Kagura.

Le groupe alla ensuite présenter ses respects et déposer des offrandes à Taga, là où Isanagi (le père d'Amatéru) avait autrefois tenu sa cour. Puis, ils se rendirent à Mino, la résidence d'Amékunitama, le fils de Kanayamahiko. Amékunitama fut enchanté de cette visite.

"J'ai été confronté par le malheur", expliqua-t-il. "J'ai perdu mon fils Amewakahiko, qui devait être mon héritier, et je me savais plus comment faire. C'est alors que Kasuga m'a donné une graine de melon, censée procurer à son détenteur le bonheur d'avoir des enfants. J'ai planté la semence et j'ai été béni par le noble Takahikoné (le fils d'Okuninushi), devenu l'époux de ma fille Ogurahimé. C'est comme si mon fils était né à nouveau. Pour vous souhaiter bonne chance pendant le reste de votre voyage, j'ai fait préparer un panier de melon pour chacun des quatre-vingts membres de votre escorte. Je souhaite en effet que vous partagiez ma joie. Puissent ces melons étancher votre soif."

Ce disant, il rafraîchit les melons doux et mûrs dans l'eau de la rivière et il les remit à la foule assemblée.

Réconforté par ce régal inattendu, le groupe, guidé par le Seigneur de Suwa (vénéré actuellement au Sanctuaire Suwa) s'engagea à travers les montagnes sur un parcours si élevé qu'il serpentait à travers les nuages. Ils arrivèrent sans encombre au Pays de Shinano (actuellement la préfecture de Nagano). De là, ils se dirigèrent vers Kaï et escaladèrent le Haramiyama (actuellement le Mont Fuji) pour embraser tout le pays du regard.

Découvrant les vastes étendues vallonnées à ses pieds, Ninikiné décida d'y établir des rizières. Il savait que, toute l'année, la région serait abondamment irriguée grâce à la fonte des neiges de la montagne. Il décida aussi de déplacer sa capitale de Tsukuba à Harami. Gracieuse et imposante à la fois, la montagne était entourée de huit lacs, débordant d'eau claire et pure. Autrefois, ils s'appelaient le Lac Yamanaka à l'est, le Lac Asu au nord-est, le Lac Kawaguchi au nord, le Lac Motosu au nord-ouest, le Lac Nishino à l'ouest, le Lac Kiyomi au sud-ouest, le Lac Shibiré au sud et le Lac Sudo au sud-est.

Fasciné par la vue splendide, Ninikiné déclara: "La neige qui couvre cette montagne va fondre et son eau converger dans les huit lacs. Les affluents qui en découlent vont irriguer les nouvelles rizières que nous allons créer sur les plaines d'une longueur de quelque neuf mille aunes. Elles subviendront à l'existence de trente mille personnes. Lançons un plan étalé sur vingt ans pour mettre à profit cette terre."

Ce disant, Ninikiné descendit de la montagne et pénétra dans le Palais de Sakaori (actuellement le Sanctuaire Asama), le centre de l'administration du Pays de Hotsuma (les régions actuelles du Tokaï et du Kanto, dont le Mont Fuji constitue le centre).

À Sakaori, Oyamazumi, le seigneur local, organisa un festin de bienvenue, afin de marquer la décision d'y déplacer la capitale. Au repas, Ninikiné fut servi avec empressement par l'aimable et ravissante Ashitsu, fille d'Oyamazumi.

À l'instant, Ninikiné fut fasciné par les charmes de la jeune fille qu'il invita, la nuit, à partager sa couche.

Le lendemain dès l'aurore, Ninikiné repartit pour Tsukuba, où il fit aussitôt construire les pavillons de Yuki et Suki au Palais de Nihari. Il y adressa ses prières aux dieux et aux cieux, organisant un festival d'action de grâces pour célébrer son accession au trône. Il signala à ses ancêtres qu'il avait reçu les Trois Trésors Célestes de son grand-père Amatéru et, finalement, il pria pour la paix et la prospérité de son peuple.

Le devant du Palais était orné d'un oranger aux fleurs délicatement parfumées et d'une bannière teinte en huit couleurs.

Le jour suivant, Ninikiné apparut devant le peuple pour les rites de l'accession au trône. Pendant longtemps, le ciel et la terre retentirent ensuite sous les acclamations (yorotoshi, yorotoshi) et les cris de joie souhaitant "Longue vie à Ninikiné!".

Le Festival d'action de grâces achevé, Ninikiné était donc reconnu comme Souverain Céleste et son règne se poursuivit dans la paix. Mais son désir de revoir la Princesse Ashitsu s'intensifiait de jour en jour.

Un jour, il confia la garde du palais à Amé-no-Koyané, le Ministre de Gauche, et appelant Katsuté, il annonça son intention de se rendre à Isé par la route qui longe la côte.

Oyamazumi accueillit à nouveau Ninikiné avec un grand festin au palais temporaire d'Izusaki. À nouveau, sa plus jeune fille Ashitsu fut aux petits soins pour Ninikiné au cours du banquet. Son minois rougissant, elle révéla finement au Souverain qu'elle était enceinte de lui.

Au comble du bonheur, Ninikiné décréta qu'ils partiraient ensemble pour Isé dès le jour suivant pour faire part de cette nouvelle à Amatéru. Il prit aussitôt ses dispositions pour qu'Ashitsu puisse l'accompagner.

Mais la mère d'Ashitsu vint chez Ninikiné et sollicita un entretien. "En fait, murmura-t-elle, j'ai une autre fille, bien plus jolie encore qu'Ashitsu. Auriez-vous l'obligeance de la rencontrer?"

Ces quelques mots avaient suffi pour séduire Ninikiné qui accepta de voir Iwanaga, l'aînée des soeurs. Mais dès le premier coup d'oeil, il comprit que son corps était repoussant et son visage disgracieux. Le jeune homme fut si interloqué qu'il se retira dans ses quartiers privés. Retrouvant peu à peu ses esprits, il se rendit compte d'autant mieux de toute l'affection qu'il portait à la Princesse Ashitsu.

La nouvelle de cet incident allait vite parvenir aux oreilles d'Oyamazumi qui réprimanda sa femme en termes véhéments. "Seul un homme peut comprendre le coeur d'un autre homme. Je savais que cela devait arriver et c'est pourquoi j'avais refusé de lui présenter Iwanaga. Tu es allée trop loin. Disparais immédiatement de chez moi et retourne chez toi à Mishima!", ordonna-t-il.

La soeur aînée et sa mère conçurent de la rancune envers ces hommes et elles réfléchirent à leur vengeance. Elles soudoyèrent une des servantes de Ninikiné pour qu'elle répande une rumeur : la petite graine dans les entrailles d'Ashitsu y a été déposée par un autre homme.

L'entourage avait à peine fait halte pour la nuit à Shiroko que déjà la rumeur malveillante parvenait aux oreilles de Ninikiné. Apprenant cette nouvelle, celui-ci se prit à s'interroger : "Comment Ashitsu a-t-elle pu concevoir mon enfant après seulement une nuit d'union?" Aussitôt sa décision fut prise. Accompagné de son escorte, il quitta l'auberge et, sans elle, poursuivit sa route vers Isé.

Le matin au réveil, Ashitsu fut étonnée de se retrouver seule. Rassemblant ses forces, elle partit sur les pas de Ninikiné, Mais arrivée à Matsuzaka, la route lui fut barrée. Malgré son insistance, on refusa de la laisser passer. En sanglotant, elle n'eut d'autre recours que de retourner à l'auberge de Shiroko.

Ashitsu comprit bientôt que, par pure malveillance, sa mère et sa soeur, l'avaient accusée injustement. Mais ceci ne fit qu'intensifier sa détermination et dissiper ses appréhensions. Résolue à poursuivre sur la voie de son destin, elle fit un voeu à côté d'un cerisier.

Autrefois, l'arrière-grand-père d'Ashitsu avait été le célèbre Sakurauchi qui avait servi comme Ministre de Gauche sous Amatéru. C'est lui qui eut l'idée de planter des cerisiers dans les jardins du palais, comme moyen de prédire la "Voie d'Isé". Le terme "Isé" était une association des vocables pour "homme" et "femme" et il symbolisait la compatibilité entre les deux sexes. Son idée subsiste dans le "Cerisier de la Gauche" et l'"Oranger de la Droite" que l'on retrouve encore dans certains grands sanctuaires. À l'époque d'Ashitsu, ils constituaient des éléments essentiels pour décider des activités du gouvernement.

"Cerisier, ô cerisier, dit-elle, si tu as du coeur, lave-moi de cette honte injuste. Si l'enfant de mes entrailles provient d'une semence de basse classe, laisse tes fleurs s'étioler et mourir. Mais s'il est de haute condition, laisse tes fleurs s'épanouir quand naîtra mon enfant. Fais s'épanouir tes fleurs à jamais."

Trois fois, elle répéta ce voeu, puis planta un arbrisseau dans la terre avant de repartir pour sa maison familiale à Mishima.

Le premier jour du sixième mois, Ashitsu donna naissance à trois garçons, éclatants de santé. Chose étrange, leur placenta portait chacun le dessin d'une fleur : le prunier pour le premier, puis la fleur de cerisier et pour le troisième, le deutzia. Comprenant qu'il s'agissait d'un présage, elle le fit savoir à Ninikiné à Isé. Mais de réponse, elle n'en reçut aucune.

Craignant que son nom ne reste à jamais flétri, elle tomba dans un désespoir profond. Mais elle résolut pourtant de protester de son innocence en mettant fin à sa propre vie et à celle de ses trois enfants.

Elle se construisit une cabane sans issue dans les collines au pied du Mont Fuji, l'entoura de bois mort et de broussailles, puis elle prononça une dernière déclaration, avant de se retrancher dans son repaire avec ses nourrissons. "Si ces trois ne sont pas les fils du Seigneur Ninikiné, périssons tous ensemble", jura-t-elle.

Alors qu'elle mettait le feu au bois, ses petits se tortillaient sous la chaleur et tentaient de se faufiler au dehors. C'est alors qu'entendant leurs cris, un dragon arriva à leur secours depuis le Lac Konoshiro. Il fit jaillir de l'eau qui retomba comme une pluie, puis il fit sortir les enfants, un à un.

Alertés, les gens des environs accoururent en foule et étouffèrent les flammes. Après avoir secouru Ashitsu, ils la placèrent dans un palanquin avec ses enfants et les envoyèrent au Palais Sakaori, transmettant en même temps la nouvelle à Isé.

Ninikiné apprit qu'à Shiroko, le cerisier avait fleuri le jour de la naissance des enfants et qu'il continuait de fleurir depuis lors. Il se précipita alors à Okitsu voisin par bateau "kamo" et dépêcha un coursier jusqu'à Sakaori pour dire à Ashitsu combien il souhaitait la revoir.

Mais le coeur de sa bien-aimée s'était refermé et elle ne se sentait plus la force d'aller à sa rencontre. Obstinément, elle refusait de se déplacer.

Le messager se hâta d'aller rapporter sa réponse à Ninikiné. Après quelques instants de réflexion, il écrivit sur une petite tablette de bois le poème suivant :
"Les algues dérivent librement du large sur le rivage.
"Mais notre couche d'une pureté merveilleuse est si lointaine.
"Pauvres oiseaux de la grève que nous sommes."
Okihiko fut choisi comme messager officiel pour transmettre le poème à Ashitsu. Quand elle le lut, ses larmes de dépit séchèrent à l'instant et son coeur, retrouvant son innocence originelle, déborda à nouveau d'amour pour Ninikiné. Avide de le retrouver au plus tôt, elle se précipita pieds nus par les contreforts du Mont Fuji, descendit jusqu'au rivage d'Okitsu, où elle se laissa tomber dans les bras de son bien-aimé qui l'attendait.

Ninikiné l'accueillit dans la liesse et les réjouissances, Bientôt, le couple se mit en route vers Sakaori, leurs palanquins avançant côte à côte en signe de joyeuse harmonie.

Dès son arrivé au Palais, Ninikiné s'adressa aux nobles et à son peuple. "Quand je parcourais nos huit provinces par ordre du Seigneur Amatéru, leur dit-il, je portais sur la tête des fleurs de pruniers alors que je traversais le pays de Koshi, des fleurs de cerisiers dans le pays de Sasanami de Takashima et des fleurs de deutzia à Ukawa. Sans aucun doute, ces belles pensées se sont transmises à ma bien-aimée et elles sont réapparues sur le placenta de nos garçons. Donnons maintenant un nom à nos trois enfants. Celui qui le premier a rampé pour échapper aux flammes s'appellera Honoakari ("Lumière de Feu") et son nom ordinaire sera Muméhito, en souvenir de la fleur du prunier. Le second aura pour nom Honosusumi ("Progression du Feu") et son nom habituel sera Sakuragi, d'après la fleur du cerisier. Enfin, le troisième sera Hiko- Hohodemi, le Vrai Enfant du Feu, et d'habitude, il s'appellera Utsukiné, en pensant à la fleur du deutzia."

"À la Princesse Ashitsu, je confère à compter d'aujourd'hui le nom de Konohanasakuya ("Fleurs-d'Arbre-Épanouies") car le cerisier de Shiroko est resté en fleurs depuis le jour où de la naissance des enfants."

Ninikiné fit ensuite construire un nouveau palais sur le site de l'ancien à Sakaori où était né son grand-père Amatéru et c'est là qu'il vécut avec sa Princesse et leurs trois enfants. Conformément à la coutume, Dame Natsumé (actuellement la divinité protectrice des enfants) emmaillota les nouveau-nés et elle les présenta à la cour.

Entre-temps, la Princesse Ashitsu allaita seule ses trois enfants sans demander l'aide d'une nourrice. C'est pourquoi elle a été appelée par la suite Koyasu (la divinité de protection des nourrissons).

Apprenant la nouvelle de ces joyeux événements, les seigneurs des Quatre Marches ("Yoshina") du Pays de Shinano vinrent à la cour pour offrir leurs cadeaux. Après avoir chacun exprimé leurs félicitations, ils firent une proposition. "Comme nous avons un précédent par la naissance d'Amatéru, pouvons-nous emporter le placenta des trois enfants comme reliques et les vénérer dans nos contrées?" demandèrent-ils.

Ninikiné réfléchit un instant avant de répondre en souriant : "Le Seigneur de Hani-Shina vénérera le pic du Ena-ga-také, où est enchâssé le placenta du Seigneur Amatéru. Les Seigneurs de Hae-Shina, de Sara-Shina et de Tsuma-Shina emporteront le placenta des trois nouveau-nés pour les révérer sur les pics de leur pays respectif" expliqua-t-il lentement.

Ce récit est à l'origine de l'expression "Yoshina-ni-hakarau" (arranger les choses à la perfection).

L'administration de Ninikiné sur le pays était saine et juste, au point que son pays fut désigné par le terme "Hotsuma" ("Excellente Vérité"). La population y menait une existence heureuse et florissante dans un climat de paix pendant de longues années.

Bien des années passèrent et, au crépuscule de sa vie, le Petit-Fils Céleste résidait au Palais de Takachiho à Tsukushi (actuellement au Kyushu), loin de sa bien-aimée Konohanasakuya qui vivait dans le Pays de Hotsuma.

C'est dans la région de Tsukushi que Ninikiné avait passé son enfance, animé d'un ardent désir d'y mettre en valeur de nouvelles rizières. Ce pays évoquait donc en lui de nombreux souvenirs d'un dur labeur et d'efforts généreux. Même Tsukushi ("Effort"), le nom de la province, est encore évocateur de cette application au travail.

Pour Ninikiné, ce second voyage à Tsukushi fut un périple de conclusion comme il se l'était promis pour la fin de son existence. Dans son Palais de Takachiho, il priait chaque matin vers le soleil levant au-dessus du Pays de Hotsuma, où vivait son épouse bien-aimée. C'est de là que provient Hiuga ("Face au Soleil"), le nom donné à cette région.

De son côté, son épouse adressait ses prières depuis Asama en direction de la lune qui se couche sur le pays de Takachiho à Tsukushi. De cette façon, en dépit de leur séparation, leur cœur fut comparé au soleil (le Souverain) et à la lune (la Princesse).

Arrivée au soir de sa vie, Konohanasakuya rendit finalement son dernier soupir sur le sommet du Mont Harami. Ninikiné la suivit à son tour sur le Mont Takachiho. Dans la mort, ils étaient ainsi réunis comme divinités mythiques et, bien que séparés dans ce monde, ils renaîtront et seront sans aucun doute réunis un jour...

Plus tard, Konohanasakuya fut révérée comme la divinité Asama ou Koyasu dans le sanctuaire de Fuji Asama. Quant à Ninikiné, il fut célébré comme la divinité Wakéikazuchi ("Diviseur de l'Éclair") ou Izu ("Puissance Imposante du Divin") au Sanctuaire Kamo de Kyoto.

Bien des générations plus tard, à l'occasion d'une tournée impériale dans la région de Tsukushi, son descendant Woshirowaké (Keiko, le 12e "Empereur humain") donna à Hiuga le nouveau nom de "Tsuma" ("Épouse") en souvenir de l'histoire romantique de Ninikiné et de Konohanasakuya.

Un vestige de ce passé subsiste au Sanctuaire Tsuma, dédié à Konohonasakuya à Tsuma-cho dans la ville de Saito.

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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