Hotsuma-Tsutae Le Livre du Ciel (Chapitre 8) [Sommaire] [Japonais] [Anglais]


Amateru et les six rébellions des Hatare

La lumière divine de l'administration d'Amateru illuminait le monde, les gens vivaient dans la prospérité et la nation était en paix. En dépit de son long règne, le souverain éprouvait une grande tranquillité d’esprit et son attitude restait junénile et son aspect vigoureux.

C’était l’année où le 24ème arbre céleste masakaki s’était étiolé et avait péri pour être remplacé par le 25ème. Le masakaki avait été planté et replanté depuis l’époque du 4ème souverain Ubichini comme moyen de marquer le passage du temps. Comme s’ils attendaient ce changement d’époque, divers événements critiques se déclenchèrent dans les provinces septentrionales. Tout d’abord, Shirahito, le gouverneur du Pays de Ne (actuellement la région du Hokuriku), puis Kokumi, le gouverneur du Pays de Sahoko (la région du San-in), négligèrent les devoirs publics qui leur étaient confiées. Ils violèrent la femme de l’ancien gouverneur Kurakine, envers qui ils avaient pourtant une dette de gratitude, et sa fille Kurako.

Conséquence de leurs actions infâmes, tous deux furent condamnés à mort. Mais la sentence fut commuée en bannissement du fait de l’intercession de Mochiko, la compagne d’Amateru, et de sa sœur Hayako. Bien que ni l’un ni l’autre ne fût d’extraction commune, ils revinrent à des occupations de service public en qualité d’adjoints du nouveau gouverneur Kansahi. Mais à peine furent-ils réintégrés dans leurs fonctions qu’à nouveau ils commencèrent à accepter des pots-de-vin, à détourner des impôts à leur profit, à perturber la stabilité du gouvernement et à placer le peuple sous le joug de l’oppression.

Stimulés par leurs méfaits, des groupes de rebelles appelés hatare se mirent à s’attirer des appuis à mesure que les infractions à la loi devenaient plus courantes. En peu de temps, la réputation hideuse de leurs vilaines actions se répandit telle un manteau lugubre sur l’ensemble du pays.

L’un après l’autre, des messagers rapides arrivèrent du Mont Kokosawa à la cour, faisant état des insurrections croissantes déclenchées par les hatare.

Rassemblés précipitamment à la cour, les nobles se mirent à débattre de cette affaire avec passion. Grand de taille et doué d’une force qui ne le cédait à personne, Takemikazuchi était connu comme le plus puissant de tous. En apprenant les soulèvements des hatare, un air insondable de consternation apparut pourtant sur son visage. Oubliant toute honte et sa réputation, il s’avança pour demander aux autres nobles de lui prodiguer leurs conseils. Assis à la gauche d’Amateru, Kanasaki déclara clairement que l’intention devait être de « broyer les hatare ». Mais en réalité, aucun d’entre eux ne savait grand-chose au sujet de ces rebelles et des moyens de les maîtriser. Comme un seul homme, ils se tournèrent alors vers Amateru pour solliciter ses conseils.

C’est alors qu’Amateru, sous le règne duquel la nation vivait dans la paix et la prospérité, publia un décret.

« Je possède quelques éléments de vérité à leur sujet, dit-il. Les hatare ne résident pas dans le royaume du ciel et ils ne sont donc pas divins. Ce sont des groupes de gens à la nature sournoise et perverse. Ils envisagent de profiter du délabrement de l’ordre public pour enfreindre nos décrets, mettre notre administration au défi et saisir notre pays.

« Les hatare se sont organisés en six bandes. Les dirigeants s‘appellent Shimumichi (le serpent géant), Harunahaha, Isoramichi, Kikumichi, Itsunamichi et finalement Aenomichi ou Ameyeno qui a recours à la magie pour invoquer le tonnerre.

« Tous ces hatare ont une faiblesse commune. Ils ont certes le pouvoir de simuler et de se livrer à de la sorcellerie pour tromper les gens. Mais l’orgueil hautain qu’ils éprouvent à l’égard de leurs supercheries brûle comme un feu qui les tourmente trois fois par jour.

« Mais ces hatare ne méritent pas qu’on les craigne. Si nous faisons appel à nos pouvoirs divins pour les combattre, nous repousserons leurs serpents et leurs dragons ; nous les ferons battre en retraite. Leurs flèches ne nous atteindront pas, mais les nôtres les frapperont à coup sûr. Une fois que leur véritable nature sera dévoilée, les hatare ne seront plus à même d’utiliser leur magie, ce qui nous permettra de les encercler et de les capturer. »

Futsunushi (révéré actuellement comme divinité du sanctuaire Katori Jingu) s’enquit ensuite des moyens à utiliser pour vaincre les hatare. Et cette fois, ce fut Kanasaki qui répondit à la place d’Amateru.

« Je n’ai pas de réponse facile, entama-t-il, mais je pense que si nous les approchons avec compassion, notre esprit noble sera préservé. Si notre cœur le plus profond reste toujours pur, nous serons investis d’une puissance divine. Et si nous connaissons bien la situation de l’ennemi, nous disposerons de pouvoirs magiques et la paix sera préservée. Tout ceci nous est octroyé par l’esprit céleste de notre souverain. Notre stratégie doit reposer sur la pacification. »

Cette proposition devait réjouir vraiment le cœur d’Amateru. Il accorda à Kanasaki le poste prestigieux de Maître de la Purification, puis, nommant Futsunushi et Takemikazuchi comme adjoints, il assembla une armée qui lui permettrait d’assujettir les rebelles.

A chacun de ces trois commandants, Amateru conféra des arcs kagoyumi et des flèches hahaya, comme symboles magiques de son autorité divine, et il leur transmit un ordre simple et formel : « Ecrasez les hatare !».

Chacune des six bandes de hatare était appuyée par huit divisions, soutenues elles-mêmes par neuf mille hommes de grade supérieur et sept cent mille combattants au total. Ils s’organisaient en groupes pour arracher les palissades et attaquer les sièges des nobles dans tout le pays. Ils volaient la nourriture des pauvres gens, provoquaient des nuages noirs, déclenchaient des incendies, lançaient des monceaux de galets, faisaient retentir le tonnerre pour terrifier le peuple, allant même jusqu’à faire frémir le sol par des séismes pour détruire les humbles demeures des habitants.

Amateru écouta patiemment la description des actions de l’ennemi avant de quitter tranquillement son palais. Il alla d’abord se purifier dans le courant rapide de la rivière Hayakawa. Ayant ainsi apaisé son esprit, il réfléchit intensément aux stratégies qu’il pourrait utiliser pour vaincre les hatare. Finalement, il arriva à ses conclusions et il les transmit à ses nobles. Elles devinrent des armes magiques par lesquelles ils purent finalement juguler les six rébellions des hatare.

(1) Bataille de Kanasaki contre les Shimumichi

La bande des rebelles hatare appelée Shimumichi était formée en réalité de pythons ou de serpents géants. Leur sorcellerie consistait à effrayer les gens en faisant déborder les rivières de montagnes pour les inonder. Dissimulés par le tumulte des eaux mugissantes, les serpents crachaient leur feu sur les hommes de Kanasaki pour les empêcher d’avancer.

Analysant la situation, Kanasaki effectua une retraite temporaire pour expliquer l’évolution des choses à son souverain. La solution d’Amateru fut de lui procurer un peu de fécule d’arrow-root et des cordes de fougère comme armes magiques. Kanasaki emporta sa panoplie sur le champ de bataille et il distribua les armes à ses hommes. Ils proférèrent alors un charme magique contre lequel la sorcellerie des hatare n’exerçait plus le moindre effet. Tandis que les rebelles s’efforçaient de fuir, les forces du souverain leur tombèrent vaillamment dessus et parvinrent à les capturer tous. Saisis, les rebelles furent ligotés et attachés ensemble sur un sol desséché par le soleil jusqu’à ce que leur chef fut garrotté lui aussi de cordes de fougères et jeté dans un cachot souterrain. En conséquence de cette bataille, trois mille rebelles furent capturés et remis à leur seigneur local. L’armée de Kanasaki avait ainsi remporté un triomphe magnifique.

(2) Bataille de Futsunushi contre les Isoramichi

Peu après ceci, un autre coursier rapide arriva. D’après le compte rendu qu’il fit, un groupe rebelle originaire de Tateyama dans le Pays de Ne gagnait en puissance et s’était déjà avancé jusqu’à Ano près d’Ise. Un conseil des nobles fut aussitôt convoqué et leur décision fut rapide : Cette fois, ce serait le tour de Futsunushi de mater la rébellion.

Alors que l’armée emmenée par Futsunushi approchait d’Ano, le chef des Isoramichi fit changer l’aspect du paysage dans l’espoir de confondre les nobles. Tantôt il suscitait de sombres nuages, tantôt il les éblouissait par la lumière aveuglante du soleil.

Le chef des Isoramichi décocha alors une flèche armée d’une pierre qui atteignit la main de Futsunushi et le blessa au doigt. Celui-ci revint en vitesse auprès d’Amateru pour lui signaler la chose. Après un instant de réflexion, le souverain lui donna des rascasses et des herbes appelées petasites. Pour éviter de nouvelles blessures aux doigts, Futsunushi et ses hommes se préparèrent des gants d’archers faits de peau d’animal. Repartis pour la bataille, ils appelèrent les Isoramichi, les invitant à décocher une nouvelle fois leurs flèches.

Le chef des Isoramichi fut surpris, car il était convaincu d’avoir tué Futsunushi lors de sa première attaque. « Bien que tu aies été touché par nos flèches, tu n’as pas été blessé et tu es revenu à la vie ? » s’exclama-t-il. « Nous avons des gants et ne sommes pas blessés. Attrape ceci ! », répliqua Futsunushi qui ordonna à ses hommes de lancer leurs flèches hahaya. Mais les hatare attrapèrent les flèches et se mirent à rire avec dédain.

« Nous t’apportons un don de notre seigneur » poursuivit Futsunushi en montrant les rascasses. Les rebelles s’en réjouirent. « Comment votre seigneur connaît-il notre nourriture préférée ? » interrogea leur leader.

Futsunushi ne répliqua pas mais dit simplement : « Nous allons vous massacrer. » Ceci eut le don de mettre les rebelles en colère. « Pourquoi dites-vous cela ? » interrogea le chef des rebelles . « Nous allons tuer les Isoramichi parce que vous avez trompé le peuple pour votre propre profit », répliqua encore Futsunushi, ce qui enragea encore davantage les Isoramichi. Ils lancèrent des pierres et proférèrent des injures, mettant Fukunushi au défi d’entamer la bataille. C’était précisément le moment qu’il attendait. Fukunushi lança les rascasses dans les rangs des ennemis qui se mirent à se battre pour les dévorer. C’est alors qu’il mit le feu aux herbes pétatites, ce qui créa une telle fumée qu’ils en furent asphyxiés. Futsunushi donna la chasse aux ennemis à moitié étouffés et en captura un millier. En disant : « Regardez comme il dort », les hommes de Futsunushi se montrèrent encore plus audacieux. Ils encerclèrent le chef des Isoramichi, le ligotèrent et l’emmenèrent dans le cachot. Futsunushi renvoya onze cents insurgés chez leur seigneur local et il remporta ainsi une autre bataille brillante pour son souverain.

(3) Bataille de Takemikazuchi contre les Itsunamichi

A nouveau les rebelles hatare relevèrent la tête. Cette fois, leur insurrection débuta à Iyo (actuellement au Shikoku), ils traversèrent la Mer intérieure et envahirent le Pays de Kii. La nouvelle de ces événements arriva à la cour par le biais de Tsukiyomi, le frère d’Amateru, qui résidait dans le Palais de Totsumiya. A nouveau, les nobles se réunirent sans tarder pour délibérer. Cette fois, ce fut Takemikazuchi, déjà célèbre par sa puissance et sa bravoure, qui fut dépêché pour pacifier le soulèvement.

Conformément à un décret d’Amateru, Takemikazuchi reçut des gâteaux de riz frits qu’il emporta sans tarder pour sa mission. Lorsqu’il arriva à Takano, les rebelles Itsunamichi vinrent à lui sous les traits d’animaux sauvages. A peine Takemikazuchi et ses hommes se furent-ils frayé un passage entre ces fantômes que le chef des rebelles apparut. « Rends-moi les deux derniers prisonniers » cria-t-il, en parlant des deux chefs hatare déjà attrapés. « Si tu ne le fais pas, je te capturerai en dépit de ton noble rang. »

Entendant cela, Takemikazuchi éclata de rire ; « Ne sais-tu pas que je suis plus fort que quiconque, que je battrai le tonnerre et que je te rouerai de coups ? » répliqua-t-il. « Viens, les cordes sont déjà prêtes » ajouta-t-il encore. Enragés, les rebelles se mirent en ordre de bataille. Les hommes de Takemikazuchi attendirent le moment propice, puis ils lancèrent leurs gâteaux de riz en direction de l’ennemi. A l’instant, ceux-ci oublièrent le combat, se précipitèrent les uns contre les autres et dévorèrent les gâteaux. C’est alors que les hommes de Takemikazuchi se ruèrent sur eux pour les ligoter tous. Le chef fut garrotté de cordes de fougères, tandis que les prisonniers dont leur nombre total atteignait les 9900, furent enchaînés par centaines au point de ressembler à un champ d’herbes sauvages. Takemikazuchi en personne emmena tous ces prisonniers sur les flancs du Mont Takano, les tirant avec une telle force que beaucoup en étouffèrent. Les morts furent enterrés sur la montagne et un tumulus fut érigé sur leur tombe. La centaine qui parvint à survivre fut incarcérée dans un donjon construit à Sasayama.

Takemikazuchi réfléchit alors profondément à l’issue tragique de la bataille. En effet, alors que son objectif premier était de pacifier les rebelles, le combat avait fait tant et tant de morts. Par respect pour leur âme, il prit le deuil.

Apprenant cette nouvelle, Amateru envoya son fils Kusuhi pour enquêter sur le sujet. Takemikazuchi lui dit : « Je suis allé trop loin quand je les ai emmenés sur la montagne au point de causer leur mort. Je suis rongé par le remors. »

Kusuhi s’enquit alors : « Etaient-ils des êtres humains ? » - « C’est ce qui m’a semblé » répondit Takemikazuchi.

Ayant reçu les commentaires de Kusuhi, Amateru se rendit lui-même au donjon de Sasayama pour voir si les rebelles étaient bel et bien des êtres humains. Mais il vit qu’ils avaient un corps de singe et un visage de chien. Par pitié pour eux, il s’informa de leur ascendance. Ils répondirent : « Il y a bien longtemps, un de nos ancêtres a frayé avec une guenon, puis leurs descendants se sont multipliés et maintenant nous ressemblons tous à des singes. Leurs yeux se plissèrent avec anxiété, en guise d’appel à l’aide.

Amateru publia à nouveau un décret. « Si vous restituez votre âme aux cieux, vous pourrez redevenir humains. Quant à ceux qui sont morts sur la montagne, eux aussi pourront renaître comme humains si leur âme est séparée de leur moi temporel. »

Entendant ceci, la centaine de prisonniers déclara : « De grâce, laissez-nous renaître comme êtres humains. » Et ce disant, ils se laissèrent mourir.

Telle est la doctrine du « retour de l’âme » vers le centre de l’univers (tamagaeshi) après la mort, une doctrine appelée aussi « kokosuto ». En tranchant le nœud (tama-no-wo) qui relie l’esprit céleste (tama) au moi charnel (shii), l’âme peut retourner aux cieux et naître à nouveau sous forme humaine. Cet acte a été confié à Tsuwamononushi, Futsunushi et Takemikazuchi. Ensemble, ces trois envoyaient les âmes des morts vers le centre de l’univers et ils les délivraient de leur état simiesque.

Dès lors, ce lieu fut appelé « Sarusarusawa » (le Marais du Départ des Singes) afin de commémorer la libération des âmes de singe par la doctrine du « tamagaeshi ».

(4) Bataille de Kadamaro contre les Kikumichi

Ensuite, un groupe de rebelles hatare, emmené par trois frères, franchit le détroit de Tsukushi (au Kyushu actuellement).
« En ce moment même, ils rassemblent une armée sur la lande de Hanayama dans les Plaines Centrales » (près de Yamashina dans l‘actuelle préfecture de Kyoto), annonça un coursier rapide dans son message urgent.

Amateru donna un ordre à Kadamaro, le petit-fils d’Ukemochi, lui disant : « Va vers cette région et rapporte-moi des nouvelles ».

Kadamaro leva aussitôt une armée et partit. Arrivé à Hanayama, ils constatèrent que les Kikumichi avaient transformé le paysage environnant, faisant fleurir partout et de façon extravagante des chrysanthèmes de toutes les couleurs. Tandis que les soldats s’avançaient, ils arrivèrent à un jardin magnifiquement fleuri, où l’on entendait une musique envoûtante et où dansaient de superbes jeunes filles. Alors que des nobles contemplaient la scène en extase, de lourds nuages s’amoncelèrent et une obscurité effrayante enveloppa tous les alentours. Dans un silence spectral, des torches allumées apparurent d’on ne sait où et elles se mirent à vaciller dans l’air immobile. Une pluie de lueurs blanches, semblables à des étoiles, se mit à tomber sur leurs têtes et, en un rien de temps, leur route fut bloquée par un essaim de lucioles.

Comme pour se moquer de leur état critique, des railleries tapageuses éclatèrent et une volée furieuse de pierres empêcha leur avance.

Kadamaro s’échappa de la scène pour aller faire rapport à Amateru. A nouveau, le souverain réfléchit quelques instants avant de donner ses ordres.

« Il s’agit sans aucun doute des Kikumichi qui se servent de sorcellerie pour tromper le peuple. Leur nom ressemble aux mots kitsune (renard) et kutsune (blaireau). Comme un arbre (ki ou Est) grandit à partir de ses racines (ne ou Nord), dans notre calendrier l'Est suit le Nord, pour passer à l’Ouest (tsu) et revenir au Nord. Ceci nous donne ki-tsu-ne. Par conséquent, vous devez frire des rats (nezumi) qui « vivent au Nord » et les donner aux Kikumichi . Cependant, un blaireau (kutsune) est différent. Il déteste la queue du feu-follet (kitsunebi, feu du renard). Vous pourrez les vaincre tous en faisant fumer des racines de gingembre. »

Ayant reçu cet ordre, Kadamaro transmit la stratégie à ses nobles et il repartit à Hanayama. A nouveau, les rebelles firent fleurir les chrysanthèmes en désordre, faisant sursauter le groupe de soldats par les changements fréquents des couleurs.

Kadamaro dispersa alors des rats frits dans toutes les directions, comme l’en avait enjoint Amateru. Les déguisements des rebelles tombèrent, car ils se mirent à s’affronter pour capturer les rongeurs frits. Les hommes de Kadamaro comprirent que le moment était venu de les attaquer. Pris à l’improviste, les Kikumichi se ruèrent tête baissée pour s’échapper, mais ils furent pourchassés par les troupes de Kadamaro. Plus de mille Kikumichi furent capturés et ils étaient sur le point d’être massacrés quand un cri pitoyable se fit entendre : « De grâce, permettez-nous de refaire acte d’allégeance comme fidèles citoyens. De grâce, présentez notre requête au Seigneur Amateru. »

Entendant cette prière, Kadamaru eut pitié d’eux. Il les délia et leur accorda le pardon. En échange, il leur enjoignit de tresser de grandes quantités de chaume de manière à fabriquer un énorme filet, mesurant bien 3 sato (environ dix kilomètres). Entre-temps, ses hommes mirent le feu à des monceaux de poivron et de gingembre, tout en s’assurant que la fumée atteigne les rebelles en contrebas. A l’instant, leur sorcellerie perdit tout effet et ils furent à nouveau attaqués et garrottés. Comme avant, les forces du souverain poursuivirent ensuite les trois chefs hatare et les ligotèrent fermement au moyen de cordages de fougères. Afin de capturer les Kikumichi restants, ils saisirent l’immense filet de paille tressée qu’ils étendirent sur toute la plaine à la façon d’une nasse géante, ils rabattirent les rebelles dans celui-ci et les subjuguèrent tous d’un seul coup.

En tout, pas moins de trois cent trente mille de ces insurgés furent capturés. Les trois frères qui les avaient dirigés furent jetés dans le cachot et l’armée d’Amateru célébra un autre triomphe remarquable.

(5) Bataille d’Amateru contre les Harunahaha

Une fois encore, les hatare déclenchèrent un soulèvement. Cette fois, les sources de l’insurrection étaient les provinces de Hisumi, Hitakami et Kaguyamato au nord et à l’est du pays.

Une flottille de bateaux rapides arriva à Futaiwaura pour avertir des mouvements de l’ennemi. A nouveau, les nobles se rassemblèrent à la cour pour délibérer de la question. Ils conclurent qu’il fallait, cette fois, demander à Amateru de s’occuper en personne du problème, ce qu’il accepta sans la moindre hésitation.

Soeritsu, l’épouse d’Amateru, accompagnait le souverain à l’intérieur du palanquin, tandis qu’Akitsu, une autre princesse, les abritait contre les rayons du soleil. Assis respectivement sur un cheval noir et un blanc, les nobles Ifukinushi et Kumano-Kusuhi gardaient les côtés du palanquin. Devant et derrière eux, marchait l’armée du souverain.

Bientôt, ils arrivèrent à la province de Yamada (peut-être Yamada-gun dans l’actuelle préfecture de Gunma). De là, ils dépêchèrent des espions pour observer les mouvements ennemis. Les Harunahaha changèrent l’aspect des plaines et des montagnes pour les jeter dans la perplexité. Ils suscitèrent des nuages noirs et des incendies, décochant ensuite une volée de flèches armées d’un silex tranchant. Puis, ils firent tomber des éclairs et craquer le tonnerre dans l’espoir d’empêcher la progression de la troupe. A ce stade, les commandants de l’armée s’attroupèrent auprès d’Amateru pour demander ses conseils.

Amateru rédiga un palindrome, appelé un suzu-uta qui commence et s’achève par la même phrase, lisible en avant et en arrière. Il attacha le chant à une boulette de riz enveloppée de feuilles de bambou et préparée d’avance. Cette boulette fut jetée aux ennemis qui se ruèrent dessus pour la dévorer goulûment, tandis que l’armée d’Amateru chantait le couplet suivant :

Sasura demo hatare mo hanage mitsu tarazu
Kankan nasu kamo yedate tsuki kare nonden mo
A ni kikazu hitsuki to ware ha awa mo terasu sa


« Les bannis et les hatare
Ont seulement trois souffles
Bien qu’ils brûlent des feux sacrés
Leurs efforts restent vains
Bien qu’ils prient et chantent
Jamais le Ciel ne les entend
Car dans le ciel et sur la terre
Seuls brillent le soleil, la lune et nous. »

Dans leur colère, les hatare lancèrent alors une nouvelle grêle de flèches. Mais cette fois, par un signe d’Amateru, toutes les flèches dévièrent et se fichèrent sans risque dans le sol. Au paroxysme de la fureur, les rebelles lancèrent ensuite des gerbes de feu en direction d’Amateru qui invoqua sans tarder Mizuihame, la déesse de l’eau et de la terre, pour éteindre les flammes. Entendant ceci, le chef hatare devint inquiet et tenta de s’enfuir. Tajikarawo poursuivit les Harunahaha dont il captura la majorité dans l’affrontement qui s’ensuivit. Les insurgés restants furent eux aussi capturés et ligotés. On leva alors doucement le rabat du palanquin du souverain. Amateru s’y trouvait portant sur la poitrine le joyau Yasakani, symbole de son autorité divine. Sa compagne Soeritsu souleva le miroir divin Mafutsu, tandis qu’Akitsu tenait l’épée Kusanagi à huit côtés. Tous étaient assis et le jugement des Harunahaha commença.

Tout d’abord, Ifukinushi posa une simple question au chef des rebelles. « Pourquoi avez-vous agi ainsi ? » s’enquit-il.

« Shirahito, le gouverneur du Pays de Ne, nous a dit que si nous pouvions prouver notre force dans la bataille, il ferait de nous les seigneurs du pays. C’était un ordre de Sosanowo » expliqua le chef.

« Si ce que tu dis est vrai, voyons votre reflet dans le miroir divin » répliqua Ifukinushi. Dans le reflet, des ailes étaient clairement visibles et Ifukinushi déclara alors : « Ces hatare ont les pattes de la chimère. Ils nous ont trompés par leurs ruses magiques. Mettez-les à mort ! »

Kumano-Kusuhi invoqua la divinité de Kumano (Isanami) ; après quoi huit corbeaux descendirent ensemble.

Ceci rappelle des événements anciens, lorsqu’Isanagi fut séparé par la mort d’Isanami, son épouse bien-aimée. Dans son profond chagrin, Isanagi pénétra dans le royaume des esprits et tenta d’être réuni à elle pendant la même nuit. Ne souhaitant pas qu’il voie son cadavre hideux, Isanami envoya huit vieilles sorcières pour le chasser. Pour éviter des erreurs similaires qui pourraient encore aggraver la honte de son épouse défunte, Isanagi dressa un rocher comme barrière, destinée à marquer la frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Il fit appeler le rocher « Divinité de Chikaeshi », ce qui signifiait à la fois « serment » et « faire demi-tour ».

Un engagement fut alors défini et rédigé dans le sang des hatare. Ils furent lavés dans l’eau de mer et quand ils furent à nouveau reflétés dans le miroir, plus aucun signe de leur sorcellerie néfaste ne fut apparent. Ceux qui, de cette façon, furent rétablis dans leur forme humaine furent acceptés comme humbles sujets du souverain.

Ensuite, les six chefs rebelles préalablement emprisonnés, ainsi que 5 mille insurgés Harunahaha capturés lors de cette bataille et 4 mille autres renvoyés auparavant dans leurs provinces d’origine, furent tous sommer de comparaître devant Amateru. Alors que leur sang était prélevé et versé dans des vases, l’image de renards apparut tout à coup sur les trois chefs Kikumichi. C’est pourquoi ils furent appelés « Mitsugitsune » (les trois renards). Les 330 mille rebelles restants devaient tous être exécutés, mais Kadamaro demanda de leur épargner la vie. De prime abord, les autres nobles ne pouvaient accepter la requête compatissante de Kadomaro. Mais après qu’il eut juré sept fois que sa demande était sincère, la vie des captifs fut épargnée.

Amateru publia alors un décret. « Les descendants de Mitsugitsune » et tous les renards auront à l’avenir pour tâche de garder la divinité Ukenomitama. S’ils devaient négliger ce devoir et manquer à leur parole, ils seraient mis à mort sur-le-champ. Selon ces termes, ils serviront dorénavant le Seigneur Kadamaro en tant que valets. »

Kadamaro transmis le décret d’Amateru aux trois frères et il leur attribua leurs tâches respectives. « Le frère aîné restera ici à Ise, dit-il. Le second se rendra à Hanayamato dans Yamashiro, tandis que le cadet ira à Asukano dans les régions de l’est. »

Ainsi, les « trois renards » furent-ils séparés et envoyés vers des parties différentes du pays, où leur travail consista à chasser oiseaux et rongeurs hors des rizières. Ceci explique pourquoi Ukenomitama, Ukemochi (la divinité de la nourriture) et Kada (Kadamaro) sont vénérés comme triples divinités dans certains sanctuaires.

Après leur capture, les rebelles Shimumichi, Isoramichi et Itsunamichi durent aussi écrire leurs serments avec leur propre sang sur ces tablettes d’argile, se baigner dans de l’eau de mer et finalement montrer leur reflet dans le miroir. Ceux qui apparaissaient encore comme singes, serpents ou blaireaux, soit cent trente en tout, furent finalement mis à mort.

Amateru publia un autre décret. « Si les hatare sont tués, leur âme continuera d’être tourmentée par trois feux pendant toute l’éternité. S’ils reprennent une forme humaine, ils pourront devenir des germes de divinité. Pour le moment, qu’ils soient placés sur le sommet des montagnes ! »

Déjà, 9 mille rebelles et 90 mille paysans avaient signé le serment du « retour de l’âme » (tamagaeshi). Les tablettes d’argile où était inscrit leur serment, furent enterrées en un lieu appelé Tamagawa sur le Mont Takano.

(6) Bataille d’Ifukinushi contre les Ameyeno

Un message arriva de Chiwaya, disant que le chef des rebelles Ameyeno souhaitait parler avec Amateru. Le souverain accepta, dépêchant Ifukinushi afin de le représenter. Pour aller rencontrer le rebelle, Ifukinushi se déplaça dans le palanquin personnel d’Amateru. Voyant cela, le chef fut intrigué :
« Es-tu une divinité ? » interrogea-t-il ?
« Je suis le serviteur d’une divinité », répliqua Ifukinushi.
« Pourquoi le serviteur d’une divinité se déplace-t-il dans le palanquin de son maître ? » riposta le dirigeant rebelle.
« Je dois faire de toi un autre serviteur de cette divinité. » déclara Ifukinushi.

« Veux-tu, toi simple subalterne, me couvrir de honte de cette façon ? C’est de toi que je ferai mon serviteur ! », répliqua-t-il, furieux. Ce disant, le tonnerre gronda dans les cieux, appelé par la divinité Hatata. Ifukinushi invoqua Utsuroi, la divinité du ciel qui fit disparaître le tonnerre et ses fracas. Ensuite, les rebelles vomirent de sombres nuages qui couvrirent toute la voûte du ciel. Cette fois, Ifukinushi invoqua Shinado, la divinité du vent qui fit s’estomper les nuées par son souffle. Les rebelles crachèrent alors du feu et brûlèrent les maisons des gens. Aussi Ifukinushi demanda-t-il l’aide de Tatsuta, la divinité qui désaltère, afin qu’elle éteigne les flammes de son eau.

Etouffant cruellement dans la fumée montante, les rebelles attaquèrent le peuple par des jets de cailloux.

Coiffés de capuchons dans lesquels ils cachaient des oranges, les membres de l’armée du souverain partirent attaquer les rebelles. Les oranges furent éparpillées et les rebelles se ruèrent pour s’en emparer. Ainsi piégés, certains furent capturés. Les autres rebelles placèrent eux-mêmes des capuchons sur leur tête et revinrent à l’attaque en tournant comme des toupies. Momentanément, ceci eut l’effet d’alarmer les nobles et de retarder leur riposte. Aussi Ifukinushi les fit-il souffler dans des conques pour arrêter la sorcellerie de l’ennemi et faire disparaître leurs capuchons magiques. Une nouvelle fois, les rebelles furent tentés par les oranges et d’autres furent ainsi capturés.

Ensuite, les rebelles revinrent à la charge en attaquant avec des maillets. Ifukinushi et ses hommes joignirent les mains en prière, sur quoi les maillets se fendirent, tels des éventails de plumes faits de la plante tobera, ce qui les rendit inoffensifs.

Pris d’une grande agitation, les rebelles tentèrent de fuir, mais Tajikarawo les empoigna fermement et les ligota au moyen de cordages de fougères.

« Serez-vous désormais mes serviteurs ? » railla-t-il. Mais les rebelles restaient silencieux, refusant de répondre. Tajikarawo dégaina alors son épée et il se prépara à les tuer en les frappant d’estoc et de taille. Voyant ceci, Ifukinushi intervint, il recommanda aux rebelles de prêter serment pour avoir ainsi la vie sauve. De cette façon, 100 mille âmes ensorcelées furent rachetées par le serment du sang. Libérés des flammes diaboliques, ils purent échapper à leur misère. Tout à leur joie de se voir rétablis comme êtres humains ordinaires, ils chantèrent les louanges des nobles qui avaient vaincu le « roi diabolique de Chiwaya » et les avaient délivrés des attaches de la sorcellerie. Ce faisant, ils quittèrent les lieux.

( Octroi des honneurs )

En tout, un peu plus de 709 mille rebelles hatare avaient repris avec succès leur forme humaine. Le lendemain, Soeritsu fit sortir à nouveau le miroir qui a réalisé des faits si merveilleux et elle dit : « Utilisons ce miroir Mafutsu pour les générations futures, afin de le montrer aux hatare et de leur rendre leurs caractères humains !»

En souvenir de ses nobles sentiments, le lieu fut dès lors appelé « Futami-no-Iwa » (le Roc de la Vision Retrouvée). Le miroir, reflet du cœur de Seoritsu, fit l’objet d’un culte sur les rochers de Futamiura. Bien qu’il ait été lavé huit cents fois par les eaux des marées successives, jamais il ne s’est rouillé et il a été transmis au cours des générations comme le miroir des dieux.

Par la suite, des fantômes apparurent occasionnellement sur le Mont Takano pour effrayer les gens. Mais Ifukinushi y construisit un palais et apaisa par là les esprits. Pour cela, Amateru lui confia le seau sacré de la divinité Takano.

Entre-temps, Kanasaki avait remporté une victoire glorieuse dans la bataille et il avait ainsi ramené la paix et le bien-être au peuple. Pour cela, il se vit accorder le seau sacré de la divinité Sumiyoshi (« Vivre bien »). Il obtint également le Pays de Tsukushi (Kyushu), décrit au sens figuré comme la « queue-de-pie des vêtements du souverain ». En plus, il reçut d’Amateru le décret suivant : « Gouverne à ma place sur tout le peuple du Kyushu. »

Futsunushi se vit attribuer le titre sacré de la divinité Katori et il reçut l’ordre de gouverner Kaguyama (le Mont Fuji). Pour être parvenu à soumettre le tonnerre, Takemikazuchi reçut l’épée Kabutsuchi du Seigneur Takemononushi. Il obtint aussi l’épée Kanaishizuchi pour avoir calmé les tremblements de terre. Ce présent lui fut accordé en reconnaissance pour la réalisation d’une carte décrivant l’ensemble du pays.

Le talent de Tsuwamononushi lors du tamagaeshi (revirement des âmes) fit qu’une grande quantité de fleurs pures de la vérité tomba du ciel au point de recouvrir tout le pays. Pour cela, il fut nommé le Seigneur du Comté de Shiki et il reçut le titre sacré de la divinité Anashi Uokami (« Grande déesse sans pareille ») . Il se vit aussi attribuer le titre élogieux de Utsushi-Hikan Oji. Et parce que son adresse au tamagaeshi, perfectionnée par son père Ichiji, était liée à la doctrine de To pour la purification des cœurs, il fut aussi appelé Kokotomusubi et glorifié comme Seigneur Kasuga. A Kanasaki, par contre, le souverain adressa le décret suivant :

« Bien que de beaucoup aient trouvé la mort, leurs âmes rétives ont été séparées de leurs corps grâce au tamagaeshi et elles sont allées aux cieux. Désormais, les hatare ont tous disparu et dans nos cœurs brille maintenant la lumière du soleil printanier (kasuga). » Pour cette raison, il nomma la région Kasuga et donna à Kanasaki les forêts qui couvrent le Mont Kasuga.

Plus tard, Kokotomusubi épousa Asaka, la jeune sœur de Katori (Futsunushi). Ils eurent un fils appelé Kasugamaro, dont le titre fut Wakahiko. Il allait devenir le grand Amenokoyane qui, plus tard, servit Amateru et les souverains ultérieurs en qualité de Ministre de la Gauche. Il reste inscrit dans les mémoires comme la divinité du Sanctuaire Kasuga Taisha à Nara.

(Extrait du 8ème aya de Hotsuma-Tsutae. Traduction japonaise contemporaine par Seiji Takabatake)

- FIN -

Sources:
Hotsuma-Tsutae (Archives Nationales, Tokyo) Hotsuma-Tsutae (traduction d'époque par Waniko Yasutoshi, env. 1779)


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